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Des mouettes et des cormorans

Le long de l’estuaire de la douce Liane,

Les moments de quiétude s’offrent àmoi.

Balade sous un ciel parseméde soleil.

Balade d’une pluie glaçante et vermeille.

Les entrées maritimes, hurlantes, àl’heure

Se déchaînent, dévastatrices, flamboyantes.

 

Au loin, j’aperçois, vifs, de sombres cormorans, 

Et des mouettes bâtardes, par leurs cris suppliantes.

 

Les bourrasques martyrisent mon naïf visage

Et sculptent, telle une main de maître, en effleurant

Les pointes rosées avec vigueur et tendresse ;

De mon corps tout entier, je me laisse aimer, chaste.

 

Puis, abritée, trempée sous un lugubre pont, 

Seule, je m’y réfugie et patibulaire,

J’attends, somnolente, que cesse la tempête.

L’ennui me guette, mais je pense. Souvenirs…

Le silence se brise en milles éclats, furie

De l’apocalypse ignorante de nos chers pères. 

Les éléments se déchaînent, vent, pluie, bruits sourds.

Bientôt, le fracas des wagons telle la vie,

Toujours passifs, toujours disciplinés, rangés,

Zélés, répondants aux ordres impertinents 

De la dictatrice, consommant tout l’effort

Du peuple fatigué, perdu, àgenoux, mort.

 

Exit de mon doux songe, si utopique…

Si chimérique, d’un présent si douloureux,

Je m’enfuis…

                   Et tente de nouveaux horizons.

 

Banalités toutes suggérées, marchepieds

De la vie ; tout est ramenéàla raison.

Vie pourrie, sans passion, sans amour sincère.

Rien de véritable, tout n’est qu’illusion. Fin…

Trouble passé qui empiète sur mon présent. 

Trouble monde, agité, bariolétel un chaos,

Observéàtravers la presque sagesse

Factice de l’œilvitreux du poisson crevé

Qui ne s’agite que grâce aux paisibles flots.

 

Bien belle vie celle d’un poisson dont une, deux

Secondes suffisent àcombler sa piètre

Mémoire, qui est làbien satisfaisante

Pour un modeste entendement de ce globe

Qui peut se glorifier d’avoir la prétention 

De ne mériter aucune sainte raison !

 

La seule chose intelligible, croyante,

Eh bien c’est ce poisson flottant en surface

Tout tranquille, dont le péchéde vanité

Est celui de contempler cette déchéance,

Stigmatisant le beau progrès de l’humain.

 

Du mépris de cette vie, l’écaillés’en rit ; 

Pour une fois qu’il côtoie de petits compères,

Nettoyeurs de fosses, àleurs jours perdus. 

 

Rongeurs, insectes, volatiles, tous sont là,

Même ses plus chers amis et la famille 

Dégustant allègrement, bienveillants, confiants,

De ses derniers morceaux de chairs si raffinés.

 

Sincère hommage ne peut-il exister ? 

 

Pitoyables êtres répugnants àsouhait…!

 

Pourtant, en continuant ma promenade, 

Epiant àchaque instant les oiseaux plongeurs,

Il est fort de constater : l’amour est partout.

 

Petit pont fécondant la Liane, l’amour

Cadenassé pour la très digne et sainte

Eternité, attaché, superbe, pendu,

Enlacéautour des grilles de fer ; prison…

Nier que l’amour est poison : quel miracle !

Pieu lucide qui me le dira en face !

Les mouettes et les cormorans, je m’ennuis ; 

Les cormorans et les mouettes, je détruis

Mes derniers songes, je balaye cette enfance.

 

Les mouettes bâtardes tourbillonnent là,

Se saoulent de leurs cris, se saoulent de leur vie. 

Elles s’existent dans le gris et maussade ciel.

Le Cri m’angoisse et mon âme qui se délace.

 

Je reviens sur terre, revoir les noirs oiseaux.
Profitant des ondes sourdes, repos du seul.

 

Ils illustrent la vie, ils illustrent cet être,

Soit doux, soit colérique, soit aimant, soit tuant ;

Sans justesse, sans tempérance, sans vie, 

Médiocre créature robotisée,

Sans pitié, piétinant la mère accoucheuse.

Tu n’es que honte, que faiblesse, malheureux

Impotent criminel, souche ratée, crachat.

 

Et voilàque les martinets, mêlés aux mouettes,

Hurlent àgorges déployées, le temps s’acharne.

 

Le seul espoir s’agrippe àces frêles moineaux,

Dans les buissons, se disputant un morceaux.

Et àcet unique gallinule chloropus

Mioche délicat, insouciant et pure,

Côtoyant un de ses aînés très éloignés

En état de décomposition avancée.

 

Quel survivant pourra témoigner, véridique, 

De cette humanitéau corps décharné?

 

La mort sera alors une sainte aux mains sales

Mais une belle femme exquisément charnelle !

 

J’enjambe une dernière fois le long fleuve

Et m’interroge : sur mon passage, oiseaux

S’envolent. L’Homme debout leur fait-il si peur ?

Or, comment ne pas avoir peur de cette bête

Qui se craint elle-même sur tous les chemins ?

Le 2 août 2014

Céline Dubois 

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