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Exposition

"EVA & ADÈLE – You are my biggest inspiration",

Sous la direction de Julia Garimorth. 

Paris, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris.
Du 30 septembre 2016 au 26 février 2017.

Vues de l'exposition (entrée et salle).

FUSIONNER L’ART, LA VIE ET LE GENRE : LÉGÈRETÉ PROPHÉTIQUE

Alors que le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris propose deux grandes rétrospectives, l’une consacrée à Carl Andre et l’autre à Bernard Buffet, il est bon de s’intéresser à une exposition bien plus intime, appelant en apparence à la flânerie, guidant finalement le visiteur dans une introspection identitaire et subtile. Celui-ci n’est pas un intrus dans l’univers d’EVA & ADÈLE mais plutôt un invité amené à partager le quotidien d’un couple atypique dans une société façonnée par les stéréotypes et les valeurs identitaires intégrés dès la prime enfance, ébranlés par la théorie du genre et raillés par les deux artistes. Cette exposition centrée uniquement sur EVA & ADÈLE ne fait en réalité que s’inscrire dans une continuité et rappeler leur propos artistique tout en faisant connaître le couple. À l’instar de la similitude avec la scénographie de l’exposition EVA & ADÈLE. The Artist = A Work of Art du Museum of Contemporary Art in Kakrow en 2012 et des multiples rétrospectives ayant notamment eu lieu à la Galerie Jérôme de Noirmont à Paris (2000, 2003, 2006)[1], il est ici question de dialoguer et d’interroger par la pluralité de leurs œuvres et de leur statut de sculptures vivantes et pérennes (dans la verve de Joseph Beuys et du duo Gilbert et George) nos acquis et notre sensibilité. 

 

La communication est inhérente à leurs performances et est également leur apanage pour contrer toute forme de discrimination. La série MEDIAPLASTIC témoigne de la réappropriation de leur propre image diffusée internationalement pour en faire des œuvres d’art tandis que leur physionomie souriante et avenante permet de freiner les incompréhensions, d’apaiser les tensions. La faible densité des cartels explicatifs sillonnant l’exposition n’est pas ici un point négatif (élevant l’art contemporain au rang des adeptes) mais bien une poursuite de logique : guider le visiteur et l’initier à leur démarche afin qu’il se questionne ensuite librement par le prisme des pièces artistiques comme les costumes, les installations vidéos, la série POLAROID DIARY (1991-2005)… sur l’ « Art of nature » / « Nature of Art »[2], autrement dit, ce qui touche à la nature innée / acquise du genre et de la sexualité chez l’homme, sujet alimentant tant de controverses et de contestations de nos jours. L’espace dégagé et l’absence de parcours imposés favorise cette divagation spirituelle. 

Elles reprennent le toposde la fusion vie et art – commenté par Julia Garimorth : « Ce n’est en effet qu’à travers l’art que nous apprenons à voir autre chose, à devenir plus sensible ou réceptif à des phénomènes cachés derrière l’apparence, à laquelle, de ce fait, nous finirons par porter un autre regard »[3]– ainsi que du rôle miroir, prémonitoire et religieux de l’artiste. En effet, les clichés de POLAROID DIARYne sont en rien narcissiques. Ils résultent de leur préparation quotidienne dans laquelle nous pénétrons (rappelons le rideau imprimé de leur logo composé d’un cœur et de leur têtes qui nous accueille) et captent notre attention pour opérer en nous une métamorphose au fur et à mesure que nous parcourons les quinze mètres de long des 1 504 autoportraits. De là, nous bravons les codes sociétaux pour nous projeter. Et nous nous aventurons vers ce « FUTURING » d’où elles se réclament provenir, à la fois physique par la présence de néons en début d’exposition et itinérants (exposition revêtant le même terme à la Biennale de Venise en 2015 ; FUTURING Light Sculpture auf Bötzow, Berlin, en 2013 ; FUTURING Light Sculpture, World Culture Heritage Völklinger Hütte, en 2012) et mental (elles semblent être immuables et atemporelles, apportant une vision pacificatrice et éthérée). 

Ce « FUTURING » donc, fait figure d’apothéose dans les sept vidéos clôturant formellement l’exposition mais proposant une contemplation dialectique entre chacune d’elles, et le reste des objets présentés. Il faut alors privilégier une vision d’ensemble pour embrasser la progressive fusion entre ces deux êtres artistes. Il importe peu de distinguer au final Eva d’Adèle, Adèle d’Eva dans un principe de gémellité totale. Cet accès au futur comme prophétie s’élabore également au sein de rituels et de mises en scène, lesquels peuvent rappeler les montages avant-gardistes de Germaine Dulac, La Coquille et le Clergyman ou encore de Man Ray, L’Étoile de mer dont l’apparente absence de scénarii dépasse le réel, appelle à méditer, à interroger les mécanismes tout comme le personnage de Rrose Sélavy initié par Marcel Duchamp se campant en femme. Le syncrétisme art-vie-genre s’opère alors, au travers d’un couple que l’on pourrait interpréter d’analogue à Ève et Adam dans une version postmoderne et ré-enchantée, d’une part par la résonnance de leurs prénoms et d’autre part qui ne serait plus chassé du Paradis mais qui le rétablirait par le biais de cette quête utopique instiguée. De la sorte, à leur tour, elles chasseraient par l’art les frustrations identitaires grâce au soulèvement de questions intérieures sans se vanter d’apporter des réponses qui risqueraient d’être prédéfinies et de renouer avec les clichés.  

 

[1]Site http://www.evaadele.com/exhibitions.html(en ligne, consulté le 1ernovembre 2016).

[2]« Art de la nature » / « Nature de l’art », « N’importe où nous sommes est musée », « L’art imite la Vie » : slogans composants l’œuvre GOLDNESS MANIFEST, 1992-1997 et récapitulant leur vision artistique, morale et sociétale.

[3]GARIMORTH Julia (dir.), EVA & ADÈLE – You are my biggest inspiration, cat. exp., Paris, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris Eva & Adèle, 2016, page 35.

Germaine Dulac, La Coquille et le Clergyman, 1928.

Man Ray, L’Étoile de mer, 1928.

C’est pourquoi en écho aux conventions de l’identité et du genre, elles construisent leur propre codification, que ce soit par la réalisation de court-métrages ou lors de leurs apparitions jumelles teintées d’hermaphrodisme appuyant la pertinence d’expositions et d’événements (elles tiennent d’ailleurs des fiches organisant leur habillement en fonction de leurs sorties). De ce fait, elles sont nécessaires au paysage artistique contemporain, tout en se plaçant en marge de son système économique. Le propos de l’exposition s’axe moins sur cette thématique mais la suggère néanmoins en signifiant que le logo, les slogans et l’appellation « EVA & ADÈLE » sont labellisés. On retrouve toujours ici cette volonté d’immortalité artistique. Et la rusticité de leur camping-car et des objets d’art détournés rappelle le peu de moyens financiers ; les costumes, quant à eux, étant créés à l’aide de l’initiative bienveillante de jeunes créateurs.

 

Il s’agit, en somme, davantage d’une exposition « hommage » qui ne vise pas tant à innover un discours qui est fondamentalement emprunt de sujets récurrents (place des artistes, maniement des médias, communication, jeu avec le corps comme support, jeu transgressif avec le genre et les sexualités, projection du futur) néanmoins manipulés avec légèreté et aménité par EVA & ADÈLE dans un souci d’accompagnement réflexif du visiteur, et au-delà de la société car, ne l’oublions pas, « Nous sommes [leur] plus grande source d’inspiration ». Elles donnent à voir une œuvre totale mêlant aussi bien l’art et la vie comme nous l’avons évoqué que différents moyens d’expressions (photographies ; sculptures ; vidéos ; assemblages dont un des plus représentatifs étant NON RIEN DE RIEN, 1991, colonne dorique bleu tranchant avec le rose habituel surmonté d’un cadre à leur image et du titre d’Edith Piaf sorte d’hymne pour un autel d’un type nouveau). On regrettera peut-être l’absence de leurs peintures et dessins, autres supports argumentant leur démarche mais aussi l’ombre faite par les deux autres événements imposants se déroulant en même temps et le peu de relais médiatique ou encore le nombre restreint de salles dédiées (qui, toutefois, constituent ce caractère intime ne devant pas être bouleversé). 

De visibilité internationale, elles perpétuent et s’inscrivent dans les recherches de la photographe Claude Cahun traversant elle-aussi les problématiques féminin/masculin et sexuelles. Enfin dans la même trame contemporaine, le duo Jane et Louise Wilson est qualifié de « sœurs jumelles » dans leur conception du travail – beaucoup plus ancré dans une atmosphère catastrophique – tandis que le couple Pierre et Gilles, respectivement photographe et peintre renvoie à l’homosexualité d’EVA & ADÈLE.

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