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Jean DUBUFFET.

brutalité du rythme, brutalité du ton, brutalité des idées.

Jean Dubuffet, « L’art brut préféré aux arts culturels » (extrait),

in Prospectus et tous écrits suivants (vol. 1), Paris, Gallimard, 1967, p. 198-202.

Un qui entreprend, comme nous, de regarder les œuvres des irréguliers, il sera conduit à prendre de l’art homologué, l’art donc des musées, galeries, salons – appelons-les l’art culturel. – une idée tout à fait différente de l’idée qu’on en a couramment. Cette production ne lui paraîtra plus en effet représentative de l’activité artistique générale, mais seulement de l’activité d’un clan très particulier : le clan des intellectuels de carrière.

Quel pays qui n’ait sa petite section d’art culturel, sa brigade d’intellectuels de carrière ? C’est obligé. D’une capitale à l’autre, ils se singent tous merveilleusement et c’est un art artificiel qu’ils pratiquent, un art espéranto, partout infatigablement recopié, peut-on dire un art ? Cette activité a-t-elle quoi que ce soit à voir avec l’art ?

C’est une idée assez répandue qu’en regardant la production artistique des intellectuels, on tient du même coup la fleur de la production générale, puisque les intellectuels, issus des gens du commun, ne peuvent manquer d’avoir toutes les qualités de ceux-ci, avec en plus celles acquises par leurs longues éliminations de culottes sur les bancs d’école, sans compter qu’ils se croient par définition très intelligents, bien plus intelligents que les gens ordinaires. Mais est-ce sûr ? On rencontre aussi beaucoup de gens qui ont de l’intellectuel une idée bien moins favorable. L’intellectuel leur apparaît comme un type sans orient, opaque, sans vitamines, un nageur d’eau bouillie. Désamorcé. Désaimanté. En perte de voyance.

Ça se peut que la position assise de l’intellectuel soit une position coupe-circuit. L’intellectuel opère trop assis : assis à l’école, assis à la conférence, assis au congrès, toujours assis. Assoupi souvent. Mort parfois, assis et mort.

On a longtemps tenu l’intelligence en grande estime. Quand on disait d’un qu’il est intelligent, n’avait-on tout dit ? Maintenant on déchante là-dessus, on commence à demander autre chose, les actions de l’intelligence baissent bien. C’est celles de la vitamine qui sont en faveur maintenant. On s’aperçoit que ce qu’on appelait intelligence consistait en un petit savoir-faire dans le maniement de certaine algèbre simpliste, fausse, oiseuse, n’ayant rien du tout à voir avec les vraies clairvoyances (les obscurcissant plutôt).

On ne peut pas nier que sur le plan de ces clairvoyances-là, l’intellectuel brille assez peu. L’imbécile (celui que l’intellectuel appelle imbécile) y montre beaucoup plus de dispositions. On dirait même que cette clairvoyance les bancs d’école l’éliment en même temps que les culottes. Imbécile ça se peut, mais des étincelles lui sortent de partout comme une peau de chat au lieu que chez monsieur l’agrégé de grammaire pas plus d’étincelles que d’un vieux torchon mouillé, vive plutôt l’imbécile alors ! C’est lui notre homme !

Ce qu’ils devraient se faire faire, nos docteurs à barrettes, c’est un curetage de la cervelle. Alors ils deviendraient bons conducteurs des courants et des millions d’yeux leur pousseraient dans le sang comme à l’homme sauvage, plus utiles pour voir que la paire de lunettes qu’ils s’accrochent au nez. Il faudrait que les docteurs fassent le grand hara-kiri de l’intelligence, le grand saut dans l’imbécillité extralucide, c’est alors seulement que ça leur pousserait, les millions d’yeux.

Le côté illusoire de ce que l’on appelait intelligence, il y a encore des gens qui n’en ont pas encore pris clairement conscience (surtout parmi les intellectuels bien sûr) et ceux-là s’esclaffent quand ils entendent dire qu’on puisse faire peu de cas de ce qu’ils appellent l’intelligence, et qu’on compte plutôt, s’agissant de lucidité, sur ceux qu’ils appellent imbéciles. Une idée pareille ne leur paraît pas sérieusement possible.

L’intellectuel, il raffole des idées, c’est un grand mâcheur d’idées, il ne peut pas concevoir qu’il y ait d’autres gommes à mâcher que celle des idées.

Or bien l’art c’est justement une gomme qui n’a rien à voir avec les idées. On le perd quelque fois de vue. Les idées, et l’algèbre des idées, c’est peut-être une voie de connaissance, mais l’art est un autre moyen de connaissance dont les voies sont toutes autres : c’est celles de la voyance. La voyance n’a que faire de savants et d’intelligents, elle ne connaît pas ces zones-là. Le savoir et l’intelligence sont débiles nageoires auprès de la voyance.

Les idées c’est un gaz pauvre, un gaz détendu. C’est quand la voyance s’éteint qu’apparaissent les idées et le poisson aveugle de leurs eaux : l’intellectuel.

C’est la raison d’être de l’art qu’il est un moyen d’opération ne passant pas par le chemin des idées. Où les idées s’en mêlent, c’est de l’art oxydé, cela ne vaut plus rien. D’idées donc le moins possible ! Ça n’est pas d’idées que se nourrit l’art !

Il y en a (l’auteur de ces lignes par exemple) qui vont jusque là qu’ils tiennent l’art des intellectuels pour faux art, pour la fausse monnaie de l’art, monnaie copieusement ornée mais qui ne sonne pas.

Bien sûr que l’ornement c’est un peu intéressant, mais le son tellement plus. Il y a des petits ouvrages de rien du tout, tout à fait sommaires, quasi informes, mais qui sonnent très fort et pour cela on les préfère à maintes œuvres monumentales d’illustres professionnels.

Il suffit à certains qu’on leur révèle d’une œuvre que son auteur est artiste de profession pour que le charme aussitôt se rompe. Chez les artistes comme chez les joueurs de cartes ou chez les amoureuses les professionnels font un peu figure de marrons.

Après cela il faut dire encore que certaines gens ont le goût des lieux pas trop battus et c’est de préférence à des petits ouvrages peu voyants qu’ils s’attacheront. S’agissant de villégiatures, on voit bien aussi à côté des amateurs de lieux à grande réputation comme Capri ou Miami d’autres qui n’aiment pas la foule, qui s’en vont plutôt dans une petite crique que personne ne connaît. Voire même dès qu’il commence à s’y amener un peu de monde dans leur petit coin, ils plient bagage et s’en vont plus loin. Des gens comme ça, il y en a.

Il y a des gens qui détestent les matches, les comptages de points, les champions, qui trouvent tout cela bête, et faux. C’est des idées de cavalier à la manque de vouloir monter le gagnant du sweepstake. Un vrai gaucho, ça n’est pas de gagnant qu’il rêve, c’est d’un poulain sauvage attrapé au lasso. Il se moque bien des pedigrees ! et il n’aime pas les bêtes dressées. 

C’est bien gentil toutes ces fêtes qu’on veut faire à l’artiste, mais qu’est-ce qui arrive ? C’est le bernard-l’ermite qui voyant cela s’en vient à toutes jambes et le voilà qui s’installe dans la coquille de l’art. Où vous voyez des fêtes et des bravos et du champagne autour d’une coquille, soyez tranquille : c’est le bernard-l’ermite qui est là-dedans.

Le vrai art il est toujours là où on ne l’attend pas. Là où personne ne pense à lui ni ne prononce son nom. L’art il déteste être reconnu et salué par son nom. Il se sauve aussitôt. L’art est un personnage passionnément épris d’incognito. Sitôt qu’on le décèle, que quelqu’un le montre du doigt, alors il se sauve en laissant à sa place un figurant lauré qui porte sur son dos une grande pancarte où c’est marqué ART, que tout le monde asperge aussitôt de champagne et que les conférenciers promènent de ville en ville avec un anneau dans le nez. C’est le monsieur Art celui-là. C’est celui que le public connaît, vu que c’est lui qui a le laurier et la pancarte. Le vrai monsieur Art pas de danger qu’il aille se flanquer des pancartes ! Alors, personne ne le reconnaît. Il se promène partout, tout le monde l’a rencontré sur son chemin et le bouscule vingt fois par jour à tous les tournants de rues, mais pas un qui ait l’idée que ça pourrait être lui monsieur Art lui-même dont on dit tant de bien. Parce qu’il n’en a pas du tout l’air. Vous comprenez, c’est le faux monsieur Art qui a le plus l’air d’être le vrai et c’est le vrai qui n’en a pas l’air ! Ça fait qu’on se trompe ! Beaucoup se trompent !

 

C’est en juillet 1945 que nous avons entrepris, en France et en Suisse pour commencer, puis bientôt dans d’autres pays, des recherches méthodiques sur les productions relevant de ce que nous avons dès cette époque dénommé l’Art Brut.

Nous entendons par là des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique, dans lesquels donc le mimétisme, contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, ait peu ou pas de part, de sorte que leurs auteurs y tirent tout (sujets, choix des matériaux mis en œuvre, moyens de transposition, rythmes, façons d’écritures, etc.) de leur propre fond et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode. Nous y assistons à l’opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions. De l’art donc où se manifeste la seule fonction de l’invention, et non celles, constantes dans l’art culturel, du caméléon et du singe.

 

Avant de clore cet exposé nous voulons dire un mot des fous. La folie allège son homme et lui donne des ailes et aide à la voyance, à ce qu’il semble, et nombre des objets (près de la moitié) que contient notre exposition sont l’ouvrage de clients d’hôpitaux psychiatriques. Nous ne voyons aucune raison d’en faire, comme font d’aucuns, un département spécial. Tous les rapports que nous avons eus (nombreux) avec nos camarades plus ou moins coiffés des grelots nous ont convaincus que les mécanismes de la création artistique sont entre leurs mains très exactement les mêmes que chez toute personne réputée normale ; et d’ailleurs cette distinction entre normal et anormal elle nous semble assez insaisissable ; qui est normal ? Où est-ce qu’il est, votre homme normal ? Montrez-le-nous ! L’acte d’art, avec l’extrême tension qu’il implique, la haute fièvre qui l’accompagne peut-il jamais être normal ? Enfin les « maladies » mentales sont extrêmement diverses – il y en a presque autant que de malades – et il paraît bien arbitraire de les mettre toutes dans ce même spécieux panier de la Maladie. Notre point de vue sur la question est que la fonction d’art est dans tous les cas la même et qu’il n’y a pas plus d’art des fous que d’art des dyspeptiques ou des malades du genou.

SOMMAIRE

INTRODUCTION

​I. Art brut et arts culturels : un rapport de force déséquilibré.

A. Jean Dubuffet : avocat d'un art brut salutaire.

B. Ambiguïtés d'une esthétique qui se veut absolue et nihiliste.

C. Une critique et un rejet radical du "clan des intellectuels".

II. L'élaboration d'un art brut utopique.

A. La réévaluation de l'implication spirituelle dans la création.
B. L'art brut : dévoilement et diffusion de la "mission et de la dignité" de l'art.

C. Un plaidoyer pour la voyance : le fou et le profane au cœur du discours.

III. Un manifeste brutal qui interroge les intentions de Jean Dubuffet.

A. Légitimité ou illégitimité de l'auteur et de la thèse défendue ?

B. Un dessein taxé de "démagogique et populiste".

C. Une généalogie de l'âpreté du ton et des idées.

CONCLUSION

SOURCES

INTRODUCTION

Jean DUBUFFET.Soil Ornamented with Vegetation, Dead Leaves, Pebbles, Diverse Debris(Sol historié de végétation, feuilles mortes, cailloux, débris divers). 1956. Oiland collage on canvas, 35 1/8 x 30 3/8″ (89.3 x 77.1 cm). The Museum of Modern Art, New York.

« C’est le nihilisme seul qui est constructif. »[1]

Jean Dubuffet

  • 1901-1985.

  • Écrivain et artiste français : deux activités indissociables se nourrissant l’une l’autre.

  • Bref passage de six mois à l’Académie Julian[2] : départ précipité par les événements dadas stimulant son goût pour la déconstruction et le nihilisme (influences : André Masson et Fernand Léger)[3]. 

  • 1944 : première exposition à la Galerie Drouin à Paris (« Marionnettes de la ville et de la campagne »). Scandale lié à un caractère pictural violent, inhabituel et prônant le démantèlement des formes[4].

  • 1945 : voyages en Suisse. Naissance du terme d’ « Art Brut »[5]d’après le rassemblement de plusieurs œuvres provenant d’individus extérieurs à la production artistique. 

  • 1948 : création avec André Breton de la Compagnie de l’Art Brut basée sur les collections des œuvres réunies par les voyages évoqués précédemment. Actuelle Collection d’Art Brut de Lausanne depuis 1976[6].

  • Époque contemporaine à celle de ses voyages au Sahara[7] : volonté d’expérimenter de nouvelles cultures et de poursuivre un travail de déconstruction (tant pictural, littéraire que socio-culturel). 

 

[1]DUBUFFET Jean, Asphyxiante culture, Paris, Les Éditions de Minuit, 1986, page 27.

[2]THÉVOZ Michel, L’Art Brut, Paris, Éditions de la Différence, 2016, page 46.

[3]JAKOBI Marianne, « DUBUFFET JEAN - (1901-1985) ». In Universalis éducation [en ligne]. Encyclopædia Universalis, consulté le 4 février 2017. Disponible sur http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/jean-dubuffet/.

[4]Ibidem.

[5]Sn, « Dubuffet et l’Art Brut », in Fondation Jean Dubuffet, sd, [en ligne] consulté le 05 février 2017 : http://www.dubuffetfondation.com/savie.php?menu=28&lang=fr.

[6]JAKOBI Marianne, « DUBUFFET JEAN - (1901-1985) », op.cit.

[7]THÉVOZ Michel, L’Art Brut, op.cit.

L’œuvre et l’extrait

  • « L’Art Brut préféré aux arts culturels » : article présent dans Prospectus et tous écrits suivants (tome I) : recueil de textes critiques et didactiques sur l’Art Brut et les arts culturels s’articulant de manière originale (ensemble d’écrits divers ne devant pas être publiés[1]). Témoignage du positionnement idéologique de Dubuffet : anti-culturel (cf. texte « Positions anticulturelles »[2]).  

  • Rédaction en 1949 à l’occasion d’une exposition à la Galerie Drouin par la Compagnie de l’Art Brut[3] : manifeste.

  • Texte véhiculant l’idée de « joute »[4]littéraire imprégnant le style de Dubuffet basée sur « son écriture [qui] met à l’épreuve le signifiant graphique et sonore du signe »11afin d’asseoir la dualité entre Art Brut et arts culturels.

  • Esthétique de la transgression et destruction des normes du langage et de la pensée à la faveur de l’Art Brut : défense artistique de la création libre en action. 

  • Caractère expérimental[5]de l’écriture (renvoyant à sa peinture) : apologie du déconditionnement (idée reprise et amplifiée dans Asphyxiante culture, Paris, Les Éditions de Minuit, paru en 1968).

  • Référence à l’existentialisme énoncé par Jean-Paul Sartre stigmatisant la génération d’après guerre : utilisation d’un style parfois trivial relevant de l’authenticité, implication dans une cause portant au militantisme, privilégier l’individu dans ses relations…[6]

 

[1]DUBUFFET Jean, Prospectus et tous écrits suivants (volume I), Paris, Gallimard, 1967, page 27.

[2]DUBUFFET Jean, Prospectus et tous écrits suivants (volume I), op.cit., pages 94-100.

[3]DUBUFFET Jean, Prospectus et tous écrits suivants (volume I), op.cit., page 198.

[4]JAKOBI Marianne, « PROSPECTUS ET TOUS ÉCRITS SUIVANTS, livre de Jean Dubuffet ». In Universalis éducation [en ligne]. Encyclopædia Universalis, consulté le 4 février 2017. Disponible sur http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/prospectus-et-tous-ecrits-suivants/.

[5]JAKOBI Marianne, « PROSPECTUS ET TOUS ÉCRITS SUIVANTS, livre de Jean Dubuffet », op. cit.

[6]STALLONI Yves, « EXISTENTIALISME ». In Universalis éducation [en ligne]. Encyclopædia Universalis, consulté le 4 février 2017. Disponible sur http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/existentialisme/.

Jean DUBUFFET, Paysage à l'auto, « Série des pâtes battues », 1953.

Dans quelles mesures l’art brut devient-il le nouvel étendard d’une esthétique de la table-rase, tant du point de vue stylistique qu’artistique ?

Julie BAR, Sans titre, s.d.

mine de plomb et crayon de couleur sur papier 

21 x 16 cm 

© créditphotographique

Collection de l’Art Brut, Lausanne

Miguel HERNANDEZ, Sans titre, 1947, huile sur papier,22 × 31cm 

© créditphotographique

Collectionde l’ArtBrut, Lausanne

I. Art brut et arts culturels : un rapport de force déséquilibré.

A. Une critique et un rejet radical du "clan des intellectuels".

  • Dépréciation des arts culturels au profit de l’Art Brut relevée par un discours antinomique :

Apologie de l’art des « irréguliers » ouvrant le texte : rappel de la prédilection de Dubuffet également mise en exergue par la préface d’Hubert Damish :

« quelles œuvres sont mieux faites pour nous persuader de la réalité, de la nécessité de cette fonction de l’urgence et de la vérité de ce besoin que celles des irréguliers de l’art, flibustiers de la culture, grands dériveurs de l’esprit, créateurs obscurs (comme l’est leur art lui-même) »[1]

 

[1]DUBUFFET Jean, Prospectus et tous écrits suivants (volume I), op.cit., page 21.

Dubuffet : vive critique envers une vaine comparaison entre arts culturels et art brut alors qu’ils sont antithétiques. 

Comparaison d’autant plus inutile qu’elle s’effectue en faveur des arts culturels et défend les discours théoriques institutionnalisés.

« Mais que la culture soit directement mise en cause, menacée dans ses hommes et dans ses institutions au nom de l’art lui-même, et l’art brut préféré aux arts culturels, les créations d’art de personnes indemnes (autant que faire se peut) de toute culture artistique mises en balance avec les œuvres des spécialistes et des professionnels de l’art, voilà qui est intolérable. »[1]

« Faut-il en déduire que l’art brut échappe à l’histoire ? Ce serait une pétition de principe, car « l’histoire de l’art », dans son acception courante, est elle-même un produit de la culture. Elle procède d’une convention qui consiste à projeter une continuité sur le désordre des événements, à déterminer des tendances et des lignées et à distinguer, parmi les suiveurs, des précurseurs ou des chefs de file « inspirés ». Muses et palmes, palmarès et musées : l’étymologie est cette fois justifiée. L’histoire, telle qu’elle est constituée par les historiens de l’art, n’est jamais qu’une reconduction de l’idéologie du sujet élargie à une multiplicité d’individus ou d’œuvres se succédant dans le temps. Et si l’art culturel paraît lui être plus assujetti que l’art brut, c’est parce que les artistes culturels s’y soumettent délibérément, par volonté d’intégration : ils conçoivent leur production en fonction des normes de continuité, de telle sorte que la fiction historique fini par être avérée. »[2]

 

[1]Ibidem, page 15.

[2]THÉVOZ Michel, L’Art Brut, op.cit., pages 213-214.

« sans compter qu’ils se croient par définition très intelligents, bien plus intelligents que les gens ordinaires » (l. 23-25)

 

Rompre et nier avec appartenance d’origine (« issus des gens du commun », l. 20) car dispositions intellectuels favorisant la supériorité (usage superlatif bien plus… que). Aspect prétentieux. 

Evocation des notions initiés / profanes ayant une certaine postérité chez Pierre Bourdieu et Nathalie Heinich (L’art contemporain exposé aux rejets). 

  • Initiés : ici l’artiste-intellectuel + l’esthète, l’historien d’art, l’amateur averti.

  • Profanes : ici les artistes du commun démunis de connaissances artistiques + les gens du commun, ceux dénigrant les différentes acceptions de l’art contemporain, ne le comprenant pas, essayant de poser un discours théorique hermétique). 

« je voudrais bien plutôt que mes tableaux amusent et intéressent l’homme de la rue, quand il sort de son travail, pas du tout le maniaque, l’initié, mais l’homme qui n’a aucune instruction ni disposition particulière. C’est à l’homme de la rue que j’en veux, moi, c’est pareil à celui que je me sens, c’est avec lui que je veux faire amitié et entrer en confidence et connivence, et c’est à lui que je voudrais, par le moyen de mes ouvrages, donner de l’agrément et de l’enchantement. »[1] 

« Le regard que l’homme de la rue porte à l’artiste est à peu près le même qu’il porte au curé. L’un comme l’autre lui paraît officiant d’un cérémonial totalement dénué de portée pratique. Il n’y aura d’affection et d’intérêt du public pour les poètes et les artistes que lorsque ceux-ci parleront la langue vulgaire, au lieu de leur langue prétendue sacrée. »[2]

 

[1]DUBUFFET Jean, Prospectus et tous écrits suivants (volume I), op.cit., page 35.

[2]DUBUFFET Jean, Asphyxiante culture, op.cit., page 27.

Volonté de traiter de toutes les ramifications possibles de l’antinomie proposée : dégager une histoire de la réception de l’art brut divergeant en fonction des goûts pour le folklore (métaphore).

« L’art brut ressortit lui aussi, plus encore que toute autre forme d’expression, à une histoire de la réception de l’art. »[1]

 

Aspect manichéen de la démarche : faux/ vrai– mauvais / bon…

 

[1]THÉVOZ Michel, L’Art Brut, op.cit., pages 223.

Questions rhétoriques suivant la formulation de l’antithèse : sollicitation du lecteur à approuver l’existence impossible d’un être normal. 

Normalité mise à mal après l’Holocauste et la violence de la Seconde Guerre mondiale.

Normalité : clivage pour un discours artistique théorique superficiel. 

Aussi idée mise à mal et interrogée par les psychiatres.

« La folie est en premier lieu quelque chose d’extrêmement divers et différent suivant les cas, et qui varie tant d’un cas à l’autre, que de ranger tous ces cas indistinctement sous cette appellation générique de folie, n’a presque aucun sens. On appelle folie tout ce qui s’écarte du normal, du prototype normal, et il y a bien des façons diverses de s’écarter du prototype normal. »[1]

« 6. Il n’existe point de règle qui définisse la limite de ce qui est art et de ce qui ne l’est plus – de ce qui est normal et de ce qui imperceptiblement se courbe vers l’anormal. Nous devons donc tout d’abord le devoir d’éclaircir aussi exactement que possible les rapports psychiques. »[2]

Critique de la culture en ce qu’elle oblige à se confondre avec la norme : « La culture est en quête de norme, est en quête d’adhésion collective, pourchasse l’anormal. »[3]Volonté de formater les esprits et les créations.

 

« brigade d’intellectuels de carrière » (l. 11)

  • Idée d’oppression = sorte de Gestapo de l’art régissant les œuvres. 

 

« On rencontre aussi beaucoup de gens qui ont de l’intellectuel une idée bien moins favorable. L’intellectuel leur apparaît comme un type sans orient, opaque, sans vitamines, un nageur d’eau bouillie. Désamorcé. Désaimanté. En perte de voyance. » (l. 25-30)

  • Champ lexical de l’eau renvoyant à la position de noyé de l’intellectuel (« vieux torchon mouillé », l. 54 + « Le savoir et l’intelligence sont débiles [faibles étymologiquement] nageoires auprès de la voyance », l. 83-84 + « poisson aveugle de leurs eaux », l. 87).

  • Position de noyé dans le sens suivant : absence de facultés réflexives, submergé par sa propre culture au détriment d’une certaine ouverture d’esprit.

  • « sans orient » = sans avenir

 

« Ça se peut que la position assise de l’intellectuel soit une position coupe-circuit. L’intellectuel opère trop assis : assis à l’école, assis à la conférence, assis au congrès, toujours assis. Assoupi souvent. Mort parfois, assis et mort. » (l. 31-35)

  • Allitération en [K] initiée par « coupe-circuit » régissant la place passive et coupée de l’intellectuel (« école » + « conférence » + congrès ») dans un rythme ternaire basé sur une anaphore rhétorique + gradation marquant les différentes étapes de la passivité. 

  • Allitération en [S] : glisser de plus en plus vers la passivité jusqu’au point ultime : « mort ». 

  • Ton polémique. 

 

[1]DUBUFFET Jean, Prospectus et tous écrits suivants (volume I), op.cit., page 219 (« Honneurs aux valeurs sauvages »).

[2]PRINZHORN Hanz, Expressions de la folie : dessins, peintures, sculptures d’asile, Paris, Gallimard, 1984, page 376.

[3]DUBUFFET Jean, Asphyxiante culture, op.cit., page 93.

Clément FRAISSE, Sans titre, entre 1930 et 1931, bas-relief de panneaux de bois sculptés,

170 x 383 cm © créditphotographique

Collection de l’Art Brut, Lausanne.

B. Jean Dubuffet : avocat d’un art brut salutaire.

  • Avocat de l’Art Brut contre les agents de l’État dans un rapport de force et d’autorité : 

 

« À l’Etat, je ne connais qu’un visage : celui de la police. Tous les départements des ministères d’Etat ont à mes yeux ce seul visage et je ne peux me figurer le ministère de la culture autrement que comme la police de la culture, avec son préfet et ses commissaires. Laquelle figure pour moi est extrêmement hostile et rebutante. »[1]

 

« Ce n’est pas des écrivains ni des artistes que la classe possédante, à la faveur de sa propagande culturelle, entend susciter, c’est des lecteurs et des admirateurs. »[2]

 

  • Esthétique de l’épuration et de la table-rase : J. Dubuffet « Je suis pour les tables rases »[3].

  • Apologie du déconditionnement intellectuel et culturel par le conseil (« devrait », « faudrait ») + déstructuration syntaxique :

 

« Ce qu’ils devraient se faire faire, nos docteurs à barrettes, c’est un curetage de la cervelle. » (l. 56-57)

 

« Il faudrait que les docteurs fassent le grand hara-kiri de l’intelligence, le grand saut dans l’imbécillité extralucide, c’est alors seulement que ça leur pousserait, les millions d’yeux. » (l. 61-64)

 

« Sans doute y a-t-il encore une confusion qu’il est utile de dénoncer, c’est celle du conditionnement général imposé à tout homme par lieux et entourages de son enfance avec le conditionnement proprement culturel. »[4] : critique de l’HABITUS.

 

  • DONC : faire de l’Art Brut le vecteur de la « déculturation » et de la « dépuration » (action de rendre pur) artistique en balayant notamment les idées (« Ça n’est pas d’idées que se nourrit l’art ! », l. 92 : formule plus correcte avec dont). 

 

« Il serait nécessaire de constituer pour eux [les intellectuels] des écoles de déculturation, où ils devraient demeurer un long temps, car la déprise des imprégnations culturelles ne peut s’opérer que lentement, par petits degrés successifs. »[5]

 

« Mais c’est à partir de ce premier stade, et pour s’avancer bien au-delà dans la voie de la dépuration, que se poursuivra l’entraînement au long d’un nombre convenable d’années, au bout duquel la notion de culture aura perdu toute valeur et la notion d’intellectuel sera devenue oiseuse. »[6]

 

  • Question sociologique[7] ici mise en forme : Art Brut comme foyer de résistance + marginalité au sein de l’art => art fougueux : « Il se moque bien des pedigrees ! et il n’aime pas les bêtes dressées. », l. 123-124 (métaphore). 

  • Cf. déculturation + enculturation (« C’est à tort que j’ai parlé ci-devant d’un ministère de la culture, c’est plus précisément de l’enculturation qu’est chargé ce ministère. »[8]).

  • Artistes de l’Art Brut remettant en cause les principes de création et d’organisation habituelle du travail au sein d’un milieu coercitif : déconstruire une idée d’art en tant qu’ « apanage d’une élite »[9].

 

[1]DUBUFFET Jean, Asphyxiante culture, op.cit., page 12.

[2]Ibidem, page 22.

[3]DUBUFFET Jean, Prospectus et tous écrits suivants (volume I), op.cit., page 25 (« Mise en garde de l’auteur »).

[4]DUBUFFET Jean, Asphyxiante culture, op.cit., page 26.

[5]Ibidem, page 74.

[6]Ibidem, page 73.

[7]DAMISCH Hubert, GAUVILLE Hervé, « ART BRUT ». In Universalis éducation [en ligne]. Encyclopædia Universalis, consulté le 4 février 2017. Disponible sur http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/art-brut/.

[8]DUBUFFET Jean, Asphyxiante culture, op.cit., page 114.

[9]DAMISCH Hubert, GAUVILLE Hervé, « ART BRUT », op.cit.

Marguerite SIR, Sans titre, entre 1944 et 1955, robe, dentelle réalisée à l'aiguille, haut 95 cm 

© crédit photographique 

Collection de l'Art Brut, Lausanne.

C. Ambiguïtés d’une esthétique qui se veut absolue et nihiliste.

  • Argumentation de Dubuffet reposant sur la notion de voyance : notion évoquée par Arthur Rimbaud dans sa lettre à Georges Izambard en date du 13 mai 1871 :

 

Ton polémique et agressif « râtelier universitaire »[1] : opposition entre la culture académique et la culture libertaire (similitude avec la thèse défendue par Dubuffet).

 

« Maintenant, je m’encrapule le plus possible. Pourquoi ? je veux être poète, et je travaille à me rendre voyant : vous ne comprendrez pas du tout, et je ne saurais presque vous expliquer. Il s’agit d’arriver à l’inconnu par le dérèglement de tous les sens. Les souffrances sont énormes, mais il faut être fort, être né poète, et je me suis reconnu poète. Ce n’est pas du tout ma faute. C’est faux de dire : je pense : on devrait dire : On me pense. — Pardon du jeu de mots. —

Je est un autre. Tant pis pour le bois qui se trouve violon, et Nargue aux inconscients, qui ergotent sur ce qu’ils ignorent tout à fait ! »[2]

 

  • Le 15 mai 1871 dans sa lettre à Paul Demeny => affirmation.

 

« La première étude de l’homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière ; il cherche son âme, il l’inspecte, il la tente, l’apprend. Dès qu’il la sait, il doit la cultiver ; cela semble simple : en tout cerveau s’accomplit un développement naturel ; tant d’égoïstes se proclament auteurs ; il en est bien d’autres qui s’attribuent leur progrès intellectuel !

[…] Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant.

Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens

[…] Il arrive à l’inconnu, et quand, affolé, il finirait par perdre l’intelligence de ses visions, il les a vues ! »[3]

 

 

  • Ici : réactualisation => poète = artiste de l’Art Brut (sans distinction du fou, de l’homme du commun… : 

 

« Nous ne voyons aucune raison d’en faire, comme font d’aucuns, un département spécial. », l. 180 (à la différence d’André Breton[4]).

« Tous les rapports que nous avons eus (nombreux) avec nos camarades plus ou moins coiffés des grelots nous ont convaincus que les mécanismes de la création artistique sont entre leurs mains très exactement les mêmes que chez toute personne réputée normale », l. 180-185).

  • Dérèglement des sens + introspection chez les artistes de l’Art Brut = voyance : capacité de voir dans la réalité les choses telles qu’elles sont.

  • DONC impression d’argument d’autorité pour appuyer thèse de Dubuffet ? Afin de mieux asseoir esthétique de la déconstruction ?

 

  • Aspect vain du déconditionnement : « Il faut observer qu’un déconditionnement total est impossible »[5].

 

Rapport de force déséquilibré penchant inéluctablement pour l’Art Brut. Rhétorique d’incitation du lecteur à adhérer à sa thèse et à rejeter les poncifs de l’art intellectuel (« grand mâcheur d’idées », l. 74 = consommation). 

Evocation d’un Art Brut voyant participant à une idéologie utopique de la culture. 

 

[1]RIMBAUD Arthur, Poésies complètes, Paris, Le Livre de Poche, 2010, [Lettre à Georges Izambard du 13 mai 1871], page 143.

[2]RIMBAUD Arthur, Poésies complètes, op.cit., page 144.

[3]RIMBAUD Arthur, Poésies complètes, op.cit., [Lettre à Paul Demeny du 15 mai 1871], pages 150-151.

[4]THÉVOZ Michel, L’Art Brut, Paris, op.cit., pages 52 et 234.

[5]DUBUFFET Jean, Asphyxiante culture, op.cit., page 67.

Wey ALOIS, Sans titre, entre 1977 et 1978, crayon de couleur et peinture or et argent sur papier blanc, 50 x 58 cm © créditphotographique

Collection de l’Art Brut, Lausanne.

II. L'élaboration d'un art brut utopique.

A. Un plaidoyer pour la voyance : le fou et le sauvage au cœur du discours.

« Or bien l’art c’est justement une gomme qui n’a rien à voir avec les idées. On le perd quelque fois de vue. Les idées, et l’algèbre des idées, c’est peut-être une voie de connaissance, mais l’art est un autre moyen de connaissance dont les voies sont toutes autres : c’est celles de la voyance. La voyance n’a que faire de savants et d’intelligents, elle ne connaît pas ces zones-là. Le savoir et l’intelligence sont débiles nageoires auprès de la voyance. » (l. 76-84)

« Les idées c’est un gaz pauvre, un gaz détendu. C’est quand la voyance s’éteint qu’apparaissent les idées et le poisson aveugle de leurs eaux : l’intellectuel. » (l. 85-87)

 

  • Défense du fou, du sauvage et du profane en tant qu’acteurs de l’Art Brut sans signe distinctif au détriment de l’intellectuel. 

  • Champ lexical de la voyance :

  • « clairvoyance » (l. 45 et 46).

  • « voyance » (l. 80, 84, 87 et 176).

  • « lucidité » (l. 71).

  • « extralucide » (l. 63).

  • Productions : révélations intrinsèques.

 

« Ce qu’on attend de l’art est qu’il nous dépayse, qu’il sorte les portes de leurs gonds. Qu’il nous révèle des choses – et de notre propre être et de nos positions – des aspects très fortement inattendus, très fortement inhabituels. La fonction de l’artiste est capitalement celle d’un inventeur. »[1] Principe même de la notion de voyance + regard neuf.

 

[1]DUBUFFET Jean, Prospectus et tous écrits suivants (volume I), op.cit., page 26 (« Mise en garde de l’auteur »).

Jean STAS, Sans titre, entre 1930 et 1935, Gouache sur papier, 87 × 105 cm 

© crédit photographique

Collection de l’Art Brut, Lausanne.

le fou

« Avant de clore cet exposé nous voulons dire un mot des fous. La folie allège son homme et lui donne des ailes et aide à la voyance, à ce qu’il semble, et nombre des objets (près de la moitié) que contient notre exposition sont l’ouvrage de clients d’hôpitaux psychiatriques. » (l. 175-179)

  • Emancipation des pressions extérieures de la société au profit d’une création libre (seulement soumise aux jugements des autres pensionnaires)[1].

  • Effet de non-conformisme.

  • Evolution du regard porté sur production des fous depuis la fin du XIXe siècle : premières collections de psychiatres comme le Dr. Auguste Marie[2]ou encore le Dr. Hans Prinzhorn. 

  • Comparaison entre les peintres modernes et les fous (« Chaque grande exposition d’art pathologique, celles de Londres (1913), de Paris (1928, 1929, 1946), de New York (1936), ou l’exposition internationale de 1950, soulevèrent le problème des rapports entre les œuvres des écoles modernes et l’art des malades. »[3]). Idée reprise par PRINZHORN Hanz, Expressions de la folie : dessins, peintures, sculptures d’asile, Paris, Gallimard, 1984, préfacé par Jean Starobinski (page VII).

 

« Très brièvement, les résultats de notre recherche et les problèmes soulevés sont les suivants : il n’est pas rare que des malades mentaux inexpérimentés, en particulier des schizophrènes, créent des œuvres que leur niveau situe très haut dans l’art au sens plein du terme et qui, dans le détail, présentent souvent des analogies surprenantes avec des œuvres d’enfants, de primitifs et de nombreuses époques de culture. Elles sont cependant liées par la parenté la plus étroite à l’art contemporain, en ce sens que celui-ci, avide d’intuition et d’inspiration, s’efforce d’atteindre et de susciter délibérément des attitudes psychiques qui apparaissent immanquablement dans la schizophrénie. »[4]

 

[1]LASCAULT Gilbert, « MALADES MENTAUX ŒUVRES DES ». In Universalis éducation [en ligne]. Encyclopædia Universalis, consulté le 5 février 2017. Disponible sur http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/oeuvres-des-malades-mentaux/.

[2]THÉVOZ Michel, L’Art Brut, Paris, op.cit., page 43.

[3]VOLMAT Robert, L’Art psychopathologique(Thèse pour le Doctorat en Médecine), Paris, Presses Universitaires de France, 1955, page 216.

[4]PRINZHORN Hanz, Expressions de la folie : dessins, peintures, sculptures d’asile, Paris, Gallimard, 1984, page 367.

Adolf WÖLFLI, 

Couronne d’épines de Rosalie en forme de cœur, 1922, crayon de couleur et mine de plomb sur papier,50,5x 67 cm 

© créditphotographique

Collection de l’Art Brut, Lausanne.

LE SAUVAGE

« des millions d’yeux lui pousseraient dans le sang comme à l’homme sauvage, plus utiles pour voir que la paire de lunettes qu’ils s’accrochent au nez. » (l. 59-61)

  • Analogue au profane, à « l’imbécile » : « imbécillité extralucide » (l. 63)

  • Voyance chez le sauvage : n’importe quel être provenant d’un milieu non culturel.

  • Dubuffet : balayer rapport téléologique bafouant les créations du sauvage :

 

« il y a eu l’homme d’avant le XIXe siècle (le sauvage, le niais) et puis l’homme d’après le XIXe siècle (l’intelligent, le téléphoniste). »[1]

 

  • Sauvage (comme le fou) : prôner la spontanéité et l’effervescence du geste. 

  • Texte « Honneur aux valeurs sauvages »[2] succédant « L’Art Brut préférés aux arts culturels » :

 

« Je crois que c’est dans cet « art brut » – dans cet art qui n’a jamais cessé de se faire en Europe parallèlement à l’autre, cet art sauvage auquel personne ne prête attention, et qui lui-même bien souvent ne se doute pas qu’il s’appelle art – qu’on peut au contraire trouver l’art européen authentique et vivant. » (page 215)

 

  • Notion du sauvage faisant référence à Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, 1962 :

  • Pensée sauvage : pensée non formatée, pas encore enculturéepar les institutions. Pensée résidant en nous initialement de la façon la plus pure et originelle (dépuration).

  • Distinction entre une pensée sauvage émanant du « bricoleur » et une pensée construite provenant de l’ « ingénieur ».

  • DONC application possible au texte de Dubuffet.

  • Prôner l’instinct ?

 

  • Dessins médiumniques : exemples de la pensée sauvage (pourtant exercés par Victor Hugo[3]).

 

[1]DUBUFFET Jean, Prospectus et tous écrits suivants (volume I), op.cit., page 44 (« Avant-projet d’une conférence populaire sur la peinture »).

[2]Ibidem, pages 203-224.

[3]THÉVOZ Michel, L’Art Brut, Paris, op.cit., pages 25-27.

Scottie WILSON, Thinking about Houses, 1950 

encre et aquarelle sur papier 

57 x 38 cm 

© créditphotographique

Collection de l’Art Brut, Lausanne.

B. La réévaluation de l’implication spirituelle dans la création.

  • Défense de la spiritualité au dépend de la rationalité obscure et décadente :

 

« les actions de l’intelligence baissent bien » (l. 39-40)

« maniement de certaine algèbre simpliste, fausse, oiseuse, n’ayant rien du tout à voir avec les vraies clairvoyances (les obscurcissant plutôt). » (l. 44-45)

« On ne peut pas nier que sur le plan de ces clairvoyances-là, l’intellectuel brille assez peu. L’imbécile (celui que l’intellectuel appelle imbécile) y montre beaucoup plus de dispositions. » (l. 46-50)

 

  • Appeler à une création artistique brute : originale et originelle, émanant directement de l’esprit.

 

« c’est en définitive la meilleure et plus efficace façon, la plus redoutable aussi (parce que délibérément obscurantiste), de faire oublier que l’art, en son fond, est connaissance et l’affaire même– la première peut-être, au moins chronologiquement – de l’esprit. »[1]

 

  • Langage pictural artistique automatique : processus médiumnique, de l’aléatoire, réévaluation de l’inconscient (d’où l’engouement des Surréalistes pour l’Art Brut).

 

« Une œuvre d’art n’a d’intérêt, à mon sens, qu’à la condition qu’elle soit une projection très immédiate et directe de ce qui se passe dans les profondeurs d’un être ; et, naturellement, qui a pris naissance dans cet être, et pas qu’on y a fourré. »[2]

 

  • Traduction de l’esprit en action :

 

« L’art s’adresse à l’esprit, et non pas aux yeux. C’est sous cet angle qu’il a toujours été considéré par les sociétés « primitives » et elles sont dans le vrai. L’art est un langage : instrument de connaissance et instrument de communication. »[3]

 

[1]DUBUFFET Jean, Prospectus et tous écrits suivants (volume I), op.cit., page 14 (« Préface : Hubert Damish »).

[2]Ibidem, page 212 (« Honneurs aux valeurs sauvages »).

[3]Ibidem, page 99 (« Positions anticulturelles »).

Henriette ZÉPHIR, Sans titre, 1961, crayon de couleur sur papier à dessin, plastifié, 24 x 31,5 cm 

© créditphotographique

Collection de l’Art Brut, Lausanne.

C. L’Art Brut : dévoilement et diffusion de la « mission de la dignité » de l’art.

  • Hegel : avancer l’idée que la culture empêche une contemplation juste de l’œuvre d’art.

 

« Née (c’est Hegel qui le dit) de la raison, la culture fait écran : elle nous dissimule la vraie mission de l’art, sa nécessité, et ce qui est sa raison même. »[1]

 

  • Wölfflin : « tous les tableaux doivent beaucoup plus à l’étude d’autres tableaux qu’à l’observation directe. »[2]

 

  • Rejet de l’imitation et illusion (superficialité) pour amplifier la nécessité d’une création pure et spirituelle :

 

« Le côté illusoirede ce que l’on appelait intelligence, il y a encore des gens qui n’en ont pas encore pris clairement conscience (surtout parmi les intellectuels bien sûr) et ceux-là s’esclaffent quand ils entendent dire qu’on puisse faire peu de cas de ce qu’ils appellent l’intelligence, et qu’on compte plutôt, s’agissant de lucidité, sur ceux qu’ils appellent imbéciles. » (l. 65-71)

 

  • Conception manichéenne et antithétique : vrai/faux art.

 

« Il y en a (l’auteur de ces lignes par exemple) qui vont jusque là qu’ils tiennent l’art des intellectuels pour faux art, pour la fausse monnaie de l’art, monnaie copieusement ornée mais qui ne sonne pas. » (l. 93-96)

 

  • D’où la personnification [filée] de l’art pour souligner l’aspect illusoire du faux artau détriment du vrai art.

  • Style oral et subversion syntaxique :

  • Répétition du sujet et du pronom « Le vrai art il » ; « L’art il »…

  • Illusion : « figurant » = acteur de théâtre.

  • « Ça fait qu’on se trompe ! Beaucoup se trompe ! » : altération, tronquage des mots.

  • Illusion et confusion renforcé par le chiasme final. 

 

« Le vrai art il est toujours là où on ne l’attend pas. Là où personne ne pense à lui ni ne prononce son nom. L’art il déteste être reconnu et salué par son nom. Il se sauve aussitôt. L’art est un personnage passionnément épris d’incognito. Sitôt qu’on le décèle, que quelqu’un le montre du doigt, alors il se sauve en laissant à sa place un figurant lauré qui porte sur son dos une grande pancarte où c’est marqué ART, que tout le monde asperge aussitôt de champagne et que les conférenciers promènent de ville en ville avec un anneau dans le nez. C’est le faux monsieur Art celui-là. C’est celui que le public connaît, vu que c’est lui qui a le laurier et la pancarte. Le vrai monsieur Art pas de danger qu’il aille se flanquer des pancartes ! Alors, personne ne le reconnaît. Il se promène partout, tout le monde l’a rencontré sur son chemin et le bouscule vingt fois par jour à tous les tournants de rues, mais pas un qui ait l’idée que ça pourrait être lui monsieur Art lui-même dont on dit tant de bien. Parce qu’il n’en a pas du tout l’air. Vous comprenez, c’est le faux monsieur Art qui a le plus l’air d’être le vrai et c’est le vrai qui n’en a pas l’air ! Ça fait qu’on se trompe ! Beaucoup se trompent ! » (l. 132-154)

 

  • Art brut : art de la vérité spirituelle et du dédain académique (ton critique) => 

 

« Nous entendons par là des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique, dans lesquels donc le mimétisme, contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, ait peu ou pas de part, de sorte que leurs auteurs y tirent tout (sujets, choix des matériaux mis en œuvre, moyens de transposition, rythmes, façons d’écritures, etc.) de leur propre fond et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode. Nous y assistons à l’opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions. De l’art donc où se manifeste la seule fonction de l’invention, et non celles, constantes dans l’art culturel, du caméléon et du singe. » (l. 160-173)

 

  • Métaphore du caméléon : art culturel = se fondre dans la masse des attentes.

  • Métaphore du singe : vulgaire mimétisme (+ « ils se singent tous merveilleusement », l. 12).

 

« L’idée très commune que la création artistique procède d’un donexceptionnel est des plus malfaisantes. Ce qu’on tient pour tel est le plus souvent une aptitude à s’assimiler les modèles, un don de singeen somme et – l’art étant avant tout révélation, apport de positions d’esprit imprévues et sans précédent – les plus inaptes à contrefaire seront les mieux dotés. Ce n’est pas le génie, à l’opposé de ce qu’on répète, qui ne fait jamais défaut à la production d’art. Le génie est monnaie la plus courante qui soit, le génie abonde, et le premier venu en a réserve suffisante pour produire une œuvre admirable. Ce qui toujours y manque est de briser la coque où ce génie s’étiole, d’ouvrir à sa voix un passage, à sa vraie voix non falsifiée, non éduquée. A quoi font obstacle, plus que toute autre chose, les décourageurs, les inhibiteurs, les adultéreurs prestiges de l’art culturel. »[3]

 

Art brut utopique : rompre avec l’art classique habituel et contraignant pour ériger de nouveaux acteurs plus sensibles et purs dans leurs créations. Rupture définitive et totale avec les principes d’imitation, d’illusion et de mimétisme réduits à un pot-pourri oppressif, accentuant les clivages et camisolant l’art.

 

[1]DUBUFFET Jean, Prospectus et tous écrits suivants (volume I), op.cit., page 15 (« Préface : Hubert Damish »).

[2]THÉVOZ Michel, L’Art Brut, Paris, op.cit., page 62.

[3]DUBUFFET Jean (dir.), Publication de la Compagnie de l’Art Brut. Fascicule 1, Paris, Compagnie de l’Art Brut, 1964, page 4.

III. Un manifeste brutal qui interroge les intentions de Jean Dubuffet.

A. Une généalogie de l’âpreté du ton et des idées.

  • Héritage des premières réflexions sur un art non conventionnel émergeant au XVIe siècle[1].

  • Dubuffet : se placer dans généalogie de la résistance culturelle.

  • Exemple du pamphlet de Champfleury en 1869 :

 

« On s’est souvent moqué de l’ignorance des gens de la ville, qui, à la campagne, prennent volontiers de la luzerne pour du blé. Les amateurs d’estampes apportent non pas tout à fait la même ignorance, mais un égal dédain vaniteux pour l’image populaire à cause de ses colorations bruyantes, qui sont pourtant en harmonie parfaite avec la nature des paysans. – « Barbarie que ces colorations ! » disent-ils – Moins barbare que l’art médiocre de nos expositions, où une habileté de main universelle fait que deux mille tableaux semblent sortis du même moule.

Telle maladresse artistique est plus rapprochée de l’œuvre des hommes de génie que ces compositions entre-deux, produit des écoles et des fausses traditions.

J’entends qu’une idole taillée dans un tronc d’arbre par des sauvages est plus près du Moïsede Michel-Ange que la plupart des statues des Salons annuels.

Chez le sauvage et l’homme de génie se remarquent des audaces, une ignorance, des ruptures avec toutes les règles qui font qu’ils s’assortissent ; mais il faut pénétrer profondément dans ces embryons rudimentaires, et laisser de côté les adresses et les habiletés de tant d’ouvriers à la journée qui s’intitulent artistes. »[2]

 

[1]THÉVOZ Michel, L’Art Brut, Paris, op.cit., page 18.

[2]Ibidem, page 29.

Georges BERTHOMIER, Sans titre, 1949, gouache sur carton,24 x 26,5 cm 

© créditphotographique

Collection de l’Art Brut, Lausanne.

  • Généalogie de la critique polémique :

 

« Quel pays qui n’ait pas sa petite section d’art culturel, sa brigade d’intellectuels de carrière ? C’est obligé. » (l. 10-11) 

« peut-on dire un art ? » (l. 15)

  • Questions rhétoriques sur le caractère oppressif de l’élite culturelle et sur la qualité des productions artistiques.

  • Ton satirique et brutal. 

 

« Ça se peut que la position assise de l’intellectuel soit une position coupe-circuit. L’intellectuel opère trop assis : assis à l’école, assis à la conférence, assis au congrès, toujours assis. Assoupi souvent. Mort parfois, assis et mort. » (l. 31-35)

  • Vive attaque rythmée par les procédés de style déjà évoqués envers l’intellectuel.

 

« On dirait même que cette clairvoyance les bancs d’école l’éliment en même temps que les culottes. Imbécile ça se peut, mais des étincelles lui sortent de partout comme une peau de chat au lieu que chez monsieur l’agrégé de grammaire pas plus d’étincelles que d’un vieux torchon mouillé, vive plutôt l’imbécile alors ! C’est lui notre homme ! » (l. 49-55)

  • Thématique du barbare opposé à l’intellectuel.

  • Déconstruction syntaxique (anacoluthe produisant un enchaînement dans le discours, sorte de chiasme et apostrophe rhétorique) : montrer la pensée en action.

B. Légitimité ou illégitimité de l'auteur et de la thèse défendue ?

Auguste FORESTIER, Sans titre, entre 1935 et 1949, sculpture de bois et matériaux divers, long. 96 cm 

©créditphotographique, Collection de l’ArtBrut, Lausanne.

« brigade d’intellectuels de carrière » (l. 11)

« longues élimations de culottes sur les bancs d’école » (l. 22-23)

 

  • Dubuffet appartenant à une classe des intellectuels : ne peut renier parcours artistique académique (école des Beaux-Arts).

  • Se positionne en tant que défenseur de l’Art Brut (frontière fine avec la théorie à ne pas franchir) mais ne pratique pas l’Art Brut : impossibilité due à son conditionnement[1](d’où application des citations ci-dessus).

« déjouer l’illusion qu’il y aurait deux personnages distincts en Dubuffet, l’ « artiste » et le découvreur d’art brut. »[2]

« Bien sûr que l’ornement c’est un peu intéressant, mais le son tellement plus. Il y a des petits ouvrages de rien du tout, tout à fait sommaires, quasi informes, mais quisonnenttrès fort et pour cela on les préfère à maintes œuvres monumentales d’illustres professionnels. » (l. 97-102)

« Après cela il faut dire encore que certaines gens ont le goût des lieux pas trop battus et c’est de préférence à des petits ouvrages peu voyants qu’ils s’attacheront. » (l. 108-110)

 

  • Caractère imprécis de son argumentation : ne donne pas d’exemples d’œuvres (ne pas influencer le lecteur par une énumération hégémonique d’un sous-groupe d’artistes d’Art Brut ?).

  • Distance par rapport aux « œuvres monumentales d’illustres professionnels » : ne pas stigmatiser certaines productions par un discours virulent ?

  • Volonté de laisser un flou argumentatif pour inciter le lecteur à approcher de lui-même les compositions de l’Art Brut :

 

« L’art brut c’est l’art brut et tout le monde a très bien compris. Pas tout à fait très bien ? Bien sûr, c’est pour ça justement qu’on est curieux d’y aller voir. C’est justement pour ça ces cahiers. Pour les voir de plus près ces petits ouvrages que généralement on dédaigne. On les trouve rudimentaires, grossiers. »[3]

 

  • Absolutisme de l’Art Brut remis en question par des références classiques (le voyant, le sauvage, le discours de résistance contre l’oppression culturelle de Champfleury…).

  • Ne pas tendre à une banalisation de l’Art Brut qui réduirait toute création à un pastiche en supprimant toute la subversion résidant dans son genre. 

  • Banalisation pouvant être causée par les expositions en musées et en galeries pour des œuvres et des artistes complètements détachés du système mercantile[4].

  • Art Brut exposé à la consommation à l’instar des arts culturels (« grand mâcheur d’idée […] Or bien l’art c’est justement une gomme qui n’a rien à voir avec les idées. », l. 74-76)

 

[1]THÉVOZ Michel, L’Art Brut, op.cit., page 46.

[2]Ibidem, page 47.

[3]DUBUFFET Jean, Prospectus et tous écrits suivants (volume I), op.cit., page 176 (« Le foyer de l’Art Brut »).

[4]PRINZHORN Hanz, Expressions de la folie : dessins, peintures, sculptures d’asile, Paris, Gallimard, 1984, page XV (« Préface de Jean Starobinski »).

C. Un dessein taxé de « démagogique et populiste ».

ALOÏSE, Napoléon III à Cherbourg,

entre 1952 et 1954 

crayon de couleur et suc de géranium sur feuilles de papier cousues ensemble 

164 x 117 cm 

© crédit photographique 

Collection de l’Art Brut, Lausanne.

« Il se promène partout, tout le monde l’a rencontré sur son chemin et le bouscule vingt fois par jour à tous les tournants de rues, mais pas un qui ait l’idée que ça pourrait être lui monsieur Art lui-même dont on dit tant de bien. » (l. 146-150)

 

  • Dubuffet : avancer l’idée que l’art est omniprésent et qu’il suffit d’y être attentif pour le voir.

  • Démagogique : faire de l’Art Brut le recueil de l’expressivité de la masse et d’une création artistique accessible à tous, réalisable par tous.

  • Desservir l’ « art coutumier »[1]au profit de l’Art Brut. Contexte : musées et institutions culturelles élitiques tant pour les artistes que pour les créateurs (poursuite de la réflexion par Pierre Bourdieu dans les années 1960 interrogeant la pratique du musée et des galeries).

« Notre point de vue sur la question est que la fonction d’art est dans tous les cas la même et qu’il n’y a pas plus d’art des fous que d’art des dyspeptiques ou des malades du genou. » (l. 195-198)

 

  • Attachement à défendre le fou, le sauvage(l’imbécile) dans son argumentation : impression de populisme.

  • Dubuffet : lier inéluctablement l’art aux classes que nous considérons populaires.

 

[1]DUBUFFET Jean (préface), L’Art Brut, cat. exp., Paris, Compagnie de l’Art Brut, 1967. Musée des arts décoratifs (Paris), du 7 avril au 5 juin 1967, page 3 « (Préface : Place à l’incivisme »).

CONCLUSION

Augustin LESAGE, Composition symbolique sur le monde spirituel, 1923 

huile sur toile, 158,5x 177 cm 

©créditphotographique, Collection de l’Art Brut, Lausanne.

« On peut comparer notre structure mentale à celle de l’arbre. Notre bois comme le sien est fait de couches annuelles – ou séculaires – qui se superposent et, à mesure que de nouvelles viennent s’y ajouter, se durcissent pour former finalement le cœur de l’arbre. Se durcissent et se dévitalisent, se fossilisent, devenant comme os de seiche, simple support inerte de l’être. »[1]

 

  • Art Brut : étendard du nihilisme pour chercher en nous la vérité artistique et activer la spiritualité propre de chaque être en tant que voyantet sauvageafin de s’opposer aux arts culturels.

  • Bannir la passivité du « clan des intellectuels » que ce soit au niveau des idées que de la création.

  • D’ailleurs arts culturels : hiérarchie alors que dès le titre (« L’Art Brut préféré aux arts culturels ») => Art Brut : mise en avant d’une unité artistique.

  • Processus de déconditionnement et de déculturation engagé : processus visible par une apologie déconstructiviste du langage et de la syntaxe rythmant une pensée en action.

  • Topos de l’esthétique de la table-rase contre le mimétisme et l’illusion régissant les arts.

  • Maîtrise de l’argumentation en général pour éviter de tomber dans l’aporie d’un artiste-écrivain de l’Art Brut théorisant le genre alors que Dubuffet se défendant d’être un artiste de ce type et plaidant simplement pour une meilleure reconnaissance.

 

« Ça confirmerait mieux que jamais la thèse de Michel Foucault selon laquelle on trouvera la vérité d’une société non pas dans la culture qu’elle affiche, mais dans l’expression de ceux qu’elle exclut. »[2]

 

  • Défense virulente de l’Art Brut : défense de toutes les voies d’expression et de tous les acteurs possibles de l’art au sein de la société (d’où une approche taxé de populisteparfois).

  • Art Brut : pôle de résistance et de marginalité assumée dans le sens où il est mis sur le devant de la scène (Collection d’Art Brut de Lausanne, Galerie Halle Saint Pierre).  

  • Mise en garde contre un Art Brut qui deviendrait institutionnalisé et marchand.

 

  • Fin du XXe siècle (à partir des années 1950 avec l’apparition du DSM, Manuel diagnostique et statistiques des troubles mentaux paru en 1952) : moins de productions des fous au sein de l’Art Brut. Psychotropes, neuroleptiques, chimiothérapies neutralisant les troubles du délire[3].

  • Mais succès de certains artistes contemporains :

  • Dan Miller, Sans titre, 2006, feutre sur papier, NY, MoMA.

  • Judith Scott, Sans titre, 2000, sculpture, fils de laine, carton, tissu et journaux, San Francisco, SFMoMA.

  • Marco Decorpeliada, SchizomètreDSM/Catalogue Picard, Installation à la Maison Rouge, 2008.

  • Institutions prestigieuses : moyen d’inclure légitimement la diversité ? OU moyen de faire admettre une partie des œuvres de l’Art Brut au public dans un but lucratif et d’établir une hiérarchisation entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas au sein de cette mouvance.

 

[1]DUBUFFET Jean, Asphyxiante culture, Paris, Les Éditions de Minuit, 1986, page 117.

[2]THÉVOZ Michel, L’Art Brut, op.cit., page 231.

[3]Ibidem, page 18.

SOURCES

Ouvrages

 

DUBUFFET Jean (préface), L’Art Brut, cat. exp., Paris, Compagnie de l’Art Brut, 1967. Musée des arts décoratifs (Paris), du 7 avril au 5 juin 1967.

DUBUFFET Jean, Asphyxiante culture, Paris, Les Éditions de Minuit, 1986.

DUBUFFET Jean, Prospectus et tous écrits suivants (volume I), Paris, Gallimard, 1967.

DUBUFFET Jean (dir.), Publication de la Compagnie de l’Art Brut. Fascicule 1, Paris, Compagnie de l’Art Brut, 1964.

PRINZHORN Hanz, Expressions de la folie : dessins, peintures, sculptures d’asile, Paris, Gallimard, 1984.

RIMBAUD Arthur, Poésies complètes, Paris, Le Livre de Poche, 2010.

THÉVOZ Michel, L’Art Brut, Paris, Éditions de la Différence, 2016.

VOLMAT Robert, L’Art psychopathologique (Thèse pour le Doctorat en Médecine), Paris, Presses Universitaires de France, 1955.

 

Sites internet

 

DAMISCH Hubert, GAUVILLE Hervé, « ART BRUT ». In Universalis éducation [en ligne]. Encyclopædia Universalis, consulté le 4 février 2017. Disponible sur http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/art-brut/.

JAKOBI Marianne, « DUBUFFET JEAN - (1901-1985) ». In Universalis éducation [en ligne]. Encyclopædia Universalis, consulté le 4 février 2017. Disponible sur http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/jean-dubuffet/.

JAKOBI Marianne, « PROSPECTUS ET TOUS ÉCRITS SUIVANTS, livre de Jean Dubuffet ». In Universalis éducation [en ligne]. Encyclopædia Universalis, consulté le 4 février 2017. Disponible sur http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/prospectus-et-tous-ecrits-suivants/.

LASCAULT Gilbert, « MALADES MENTAUX ŒUVRES DES ». In Universalis éducation [en ligne]. Encyclopædia Universalis, consulté le 5 février 2017. Disponible sur http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/oeuvres-des-malades-mentaux/.

Sn, « Dubuffet et l’Art Brut », in Fondation Jean Dubuffet, sd, [en ligne] consulté le 05 février 2017 : http://www.dubuffetfondation.com/savie.php?menu=28&lang=fr.

STALLONI Yves, « EXISTENTIALISME ». In Universalis éducation [en ligne]. Encyclopædia Universalis, consulté le 4 février 2017. Disponible sur http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/existentialisme/.

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