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Les sources du Primitivisme dans l'art européen.

Fin XIXe-début XXe.

André DERAIN, Le portement de croix (Copie d’après Biagio d’Antonio), 1901, huile sur toile, 166 x 169, 2 cm, Berne, Kunstmuseum Bern.

SOMMAIRE

I. Le prisme de la colonisation : entre découverte et formation du regard sur les civilisations et objets extra-occidentaux. 

A. Des sources textuelles scientifiques.

B. Les récits de voyageurs : à l’origine du fantasme.

C. Les divers modes de monstration des cultures et objets.

II. Des primitivismes ou les inspirations hétéroclites des artistes européens.

A. L’attraction des arts extra-occidentaux.

B. Une relecture de l’art européen.

C. Le « re-balbutiement » de la culture populaire (formule employée par l’artiste Maurice Denis).

III. Deux figures tutélaires pour l’exploration des voies du primitivisme : Paul Cézanne et Paul Gauguin.

A. La diffusion de l’Arcadie cézannienne.

B. Gauguin : une source parmi les sources pour repenser l’art.

C. La thématique du voyage comme échappée.

INTRODUCTION

Henri Raison du Cleuziou écrit en 1887 dans son ouvrage La Création de l’homme et les premiers âges de l’humanité : « Un œil qui sache voir la nature / Un cœur qui sache sentir la nature / Une volonté qui ose suivre la nature ». Il définit ainsi sa propre conception de l’art, sous tension, quelques lignes plus tard avec le « Savoir [et] le voir […] des maîtres français de la Renaissance ».[1]Archéologue et historien, il place la nature au centre des préoccupations artistiques que prôneront environ une décennie plus tard les artistes dits primitifsà la jonction des deux siècles. Cette citation véhicule l’essence même du Primitivisme : l’évolution et les interactions de l’être humain dans sa société, avec son passé et son environnement. Il serait alors question d’établir une symbiose entre la nature et l’individu-artiste qui se tournerait vers les modèles de pensée emprunts de pureté esthétique, de renouveau mythique et de réhabilitation artistique. 

En ce sens, du Cleuziou prévoit déjà les sources des artistes primitifseuropéens au crépuscule du XIXe siècle et à l’aube du XXe. En effet, il s’inscrit dans une vague d’intérêt scientifique et artistique pour les cultures dites extra-occidentales contaminant l’ensemble du continent. N’omettons toutefois pas que les civilisations extra-occidentales sont déjà connues par l’ensemble des pays constituant le vieux continent : les grandes découvertes du XVIIe siècle ont permis d’établir des points de contact entre les différents espaces géographiques, qu’il s’agisse de comptoirs ou des expéditions de navigateurs, le tout mettant en place des circuits de commerce, notamment d’objets soit offerts soit échangés soit bien souvent pillés… Dans ce contexte, ces mêmes objets constituent un rejet ou un enthousiasme de la part des missionnaires ou des élites qui élaborent, dans un esprit éclairé, des cabinets de curiosité ou des instituts tel le London Missionnary Museum en 1843 dans le but de conserver et de protéger (prémices du statut d’œuvres et d’objets d’art). Les artistes européens ne sont donc pas vierges de connaissance sur la thématique des cultures extra-occidentales. Ils les abordent notamment au travers de la domination coloniale et développent une singularité atypique envers des productions méprisées pour leur archaïsme ou leur naïveté. Ils font également entrer en contact l’héritage du passé artistique européen avec ces nouvelles influences qui ponctuent les avant-gardes successives du début du XXe siècle. 

Autre « –isme », le Primitivisme s’immisce au sein du Fauvisme, de l’Expressionnisme allemand (Der Blaue Riter et Die Brücke), du Cubisme, du Dadaïsme, du Surréalisme… et regroupe dans les foyers majeurs de l’avant-garde (Paris et Berlin) des artistes de diverses nationalités et de divers horizons exaltés par la régénérescence de l’art grâce au regard porté sur des objets fascinant par leur étrangeté – Marcel Duchamp exprime à juste titre « ce sont les regardeurs qui font les tableaux », ce que nous pourrions appliquer aux productions inspirant les primitifs. Tous tentent de réinventer leur présent, d’y échapper ou de rendre hommage à des formes d’expression artistique antérieures en utilisant des sources éclectiques. Ils s’engagent sur des voies déjà préparées par quelques précurseurs et ouvrent la notion d’influences : il existe autant de primitivismes que d’artistes et de sources spécifiques. Ces dernières peuvent être textuelles, plastiques, idéelles, régionales… tout comme des références à des figures prégnantes. Les artistes puisent ainsi dans des répertoires hétérogènes garantissant le Primitivisme comme fabrique imaginaire.

L’objet de cet essai sera de démontrer en quoi les sources protéiformes du Primitivisme permettent aux artistes européens de composer de nouvelles perspectives artistiques à une époque de transition vers la modernité.

C’est pourquoi nous aborderons le prisme de la colonisation comme découverte et éducation du regard sur les cultures et productions extra-occidentales avant de traiter des inspirations hétérogènes des artistes européens. Enfin nous étudierons Paul Cézanne et Paul Gauguin comme figures tutélaires engageant de nouvelles voies d’expression artistique. 

 

[1]Cleuziou Henri du, La Création de l’homme et les premiers âges de l’humanité, Paris, Marpon et Flammarion, 1887, p. 251-252 in DAGEN Philippe, Le peintre, le poète, le sauvage. Les voies du primitivisme dans l’art français, 2e édition, Paris, Flammarion (« Champs arts »), 2010, p. 47.

I. Le prisme de la colonisation : entre découverte et formation du regard sur les civilisations et objets extra-occidentaux.

A. Des sources textuelles scientifiques.

  • Revue La Nature, article « Art nègre », 1887 : création du genre nègre.

  • Première réception esthétique des objets : stéréotypes raciaux (archaïsme, naïveté, absence du beau et de l’achèvement).

 

« Le sentiment du beau exprimé par la peinture ou la sculpture est très vague parmi les noirs. Il ne dépasse pas l’imitation gauche et parfois grossière de la nature. Jamais il ne va jusqu’à l’interpréter au moyen de formes idéales. »[1]

 

  • À l’opposé : construction d’autres discours révélant l’originalité et le pouvoir influent des productions premières et extra-occidentales.

  • 1887 : Du Cleuziou publie La Création de l’homme et les premiers âges de l’humanité

  • Renvoie à une Afrique préhistorique (niveau de développement de l’Afrique similaire selon à lui à celui des hommes de la Préhistoire).[2]

  • Perpétue le stéréotype d’une Afrique primitive.

  • Renouvelle la thématique du naturalisme.

  • Exalte les artistes primitifs comme les premiers maîtres en art.

  • Ph. Dagen à propos de la théorie de Henri du Cleuziou : « La sincérité, la naïveté, telles sont les vertus que l’artiste doit cultiver. »

  • Met de côté les mécanismes civilisés pour retourner à un « état de nature ».

  • Défenseur d’un primitivisme « précoce » esthétique.[3]

  • Lecture influençant probablement les artistes européens dans leur quête pour la pureté.

  • 1902 : traduction et édition par la Librairie Félix Alcan de l’ouvrage d’Ernst Grosse, Les Débuts de l’art.

  • Interroge l’origine de l’art grâce à l’ethnologie océanienne et australienne.[4]

  • Effectue une synthèse : étude des déterminismes entre état primitif de la civilisation et état originel de l’art.[5]

  • Affirme la valeur artistique des productions considérées comme artisanales ou animistes.

  • Rompt avec la condescendance permanente envers les objets extra-occidentaux.

  • Influence d’autres archéologues.

  • Première voie de reconnaissance artistique d’objets « exotiques » et « sauvages ».[6]

 

  • Ouvrages dégageant un sens du beau relatif aux cultures préhistoriques ou extra-occidentales.[7]

  • Traitement scientifique, anthropologique, ethnographique et historique : approuver l’intérêt singulier envers d’autres productions.

  • Relectures : échos dans le domaine artistique. 

 

[1]In DAGEN Philippe, op. cit., p. 73 (d’après les Notes analytiques sur les collections ethnographiques du musée du Congo, tome 1er, Les Arts, la Religion, Bruxelles, 1902-1906, p. 5).

[2]Ibidem, p. 28.

[3]Ibidem, p. 48 à 50.

[4]Ibidem, p. 12-13.

[5]Ibidem, p. 62.

[6]Ibidem, p. 12-13.

[7]Ibidem, p. 45.

B. Les récits de voyageurs : à l’origine du fantasme.

  • Années 1880-1890 : prolifération des récits de voyageurs.

  • Récits véhiculant des idéaux : esthétique pittoresque ou exotique. 

  • Volonté de façonner un imaginaire lointain.

  • Incitation au voyage.

 

  • Jacques-Antoine Moerenhout, Voyage aux îles du Grand Océan, 1837.

  • Lecture de Paul Gauguin pour préparer son voyage en Polynésie.

  • Fabrique d’une illusion, d’un fantasme : Polynésie rêvée et mythique.

  • Propos rapportés : absence d’exactitude.

 

  • Paul Gauguin, Noa Noa, 1891-1893.

  • Mêle réalité et fiction.

  • Récit initiatique : découverte du chromatisme tahitien, des coutumes et du paysage colonial.

  • Oscille entre illusion d’une terre vierge légendaire et désillusion liée à l’acculturation.

  • Réappropriation des rites et mythes.

  • Illustrations datant de son second séjour tahitien.

  • À la mort de Gauguin : Daniel de Monfreid obtient l’ouvrage en 1904 (l’édite en 1924).[1]

  • André Derain et Henri Matisse découvrent Noa Noa chez Monfreid à Vernet-les-Bains en juin 1905 : transmission des savoirs et autorisation à poursuivre la voie engagée par Gauguin.[2]

 

[1]BERNARDI Claire et FERLIER-BOUAT Ophélie (dir.), Gauguin. L’alchimiste, cat. exp., Paris, Éditions Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 2017, p. 143.

[2]DEBRAY Cécile (dir.), André Derain. 1904-1914, la décennie radicale, cat. exp., Paris, Éditions du Centre Pompidou, 2017, p. 231.

C. Les divers modes de monstration des cultures et objets.

  • Flux d’objets en provenance d’Afrique et d’Océanie : visibilité et capacité à produire un regard.

  • Années 1880-1890 : musées exposant des objets extra-occidentaux dans leurs collections.

  • 1882 : ouverture du musée du Trocadéro à Paris. Scénographie : assemblages, création d’un type nègre, décors, mode d’exhibition spectaculaire.

  • 1889 : Exposition Universelle de Paris. Mise en avant de l’Afrique coloniale et des autres cultures. Reconstitution d’un village canaque : zoo humain, curiosité malsaine, robe missionnaire, esthétique du pittoresque exotique. Visite de Gauguin (« La céramique n’est pas une futilité. Aux époques les plus reculées, chez les Indiens de l’Amérique, on trouve cet art constamment en faveur. Dieu fit l’homme avec un peu de boue. Avec un peu de boue on peut faire du métal, des pierres précieuses, avec un peu de boue et aussi un peu de génie ! N’est-ce donc point là une matière intéressante ? Ce qui n’empêche pas que, sur dix personnes instruites, neuf passent devant cette section avec une indifférence extrême. »)[1]

  • 1897 : sections coloniales au musée de Tervuren à Bruxelles (Congo Belge). De même, création d’un genre africain, aspect pêle-mêle.

  • André Derain, La Danse, 1906.

  • Voit un moulage d’une frise du temple d’Angkor Vat (datant du XIIe siècle) au musée Guimet.

  • Récupération en puisant dans la culture khmère. 

  • Transpose le motif en bois gravé et polychromé pour La danse(panneau sculpté).

  • (Œuvre présentant aussi un écho plastique : cf. moulage du portail de l’église Sainte-Marie-Souillac du Xe-XIe siècles.

  • André Derain, Etude d’après une sculpture du Vanuatu, Londres, 1906.

  • Envoyé par son marchand d’art Ambroise Vollard à Londres : susciter de nouvelles inspirations.

  • Découvre et visite le Museum of Mankind(actuel British Museum).

  • S’inspire d’une figure de danse du Vanuatu (acquise en 1898).

  • Etablit un dialogue entre les cultures et les objets : volonté de remporter un répertoire pertinent de formes à explorer.

André Derain à Vlaminck : « Je suis un peu ému par mes visites dans Londres et au Musée national ainsi qu’au Musée nègre. C’est faramineux, affolant d’expression : ce sont des formes issues du plein air, de la pleine lumière et appelées à se manifester dans la pleine lumière. »[2]

 

André Derain à Matisse : « Mon voyage me confirme dans mes idées. J’ai vu des sculptures hindoues et des broderies égypto-romaines de toute beauté […] »[3]

  • Ernst Ludwig Kirchner, Dessin d’après un bronze, 1910.

  • S’inspire d’une plaque de bronze du Bénin au musée ethnographique de Dresde.

  • Plaque issue du pillage systématique : arrachée à son environnement originel.

  • Inscription de la plaque dans le circuit des œuvres pillées en Europe (collections publiques et privées).

[1]GAUGUIN Paul, Oviri, Paris, Éditions Gallimard, (collection « Folio / Essais »), 1974, p. 50 (extrait des « Notes sur l’art. L’Exposition Universelle », in Le Moderniste illustré, 4 et 11 juillet 1889. Gauguin commente peu d’éléments en relation avec les arts primitifs extra-occidentaux mais prône ici leurs savoir-faire [en céramique] incompris par les mentalités occidentales hiérarchisées esthétiquement).

[2]DERAIN André, lettre à M. de Vlaminck, 7 mars 1906, Lettres à Vlaminck, suivies de la correspondance de guerre, édition établie par Philippe Dagen, Paris, Flammarion, 1994, p. 173 in DEBRAY Cécile (dir.), op. cit., p. 233.

[3]DERAIN André, lettre à H. Matisse, 15 mars 1906 in DEBRAY Cécile, op. cit., p. 233.

II. Des primitivismes ou les inspirations hétéroclites des artistes européens.

A. L’attraction des arts extra-occidentaux.

  • Souvent l’art primitif : réduction aux influences de l’art africain et océanien formant un tout (pas de prise en considération des spécificités régionales et artistiques de l’art africain ou océanien).

  • Or d’autres influences à relever : arts des Amériques (du Sud et latine), arts de l’Asie, arts de l’Égypte et du Proche-Orient (à comprendre dans leur singularité).

  • Musées, expositions universelles, ouvrages… : permettre aux œuvres et objets de circuler en Europe et d’interpeller l’attention des artistes.

Influences : les arts africains

  • Pablo Picasso, Les Demoiselles d’Avignon, 1906-1907.

  • Détail du visage en bas à droite : évocation d’un masque de maladie Pende-Zaïre (identification et guérison des maux indiqués par la déformation physionomique).

  • Déformation du visage : réappropriation par Picasso pour traduire sa crainte des malades vénériennes (syphilis) courantes à la fin du XIXe et au début du XXe siècle.

  • Violence du tableau résidant dans les formes et couleurs : traduction de la menace.

  • Autre démarche vis-à-vis de l’art dit nègre : effet d’accompagnement et non d’influence. Autorisation à emprunter une nouvelle voie.

  • Toile d’ « exorcisme ».

 

Pablo Picasso à propos de sa visite avec Derain au Trocadéro : « Et alors j’ai compris que c’était le sens même de la peinture. Ce n’est pas un processus esthétique ; c’est une forme de magie qui s’interpose entre l’univers hostile et nous, une façon de saisir le pouvoir, en imposant une forme à nos terreurs comme à nos désirs. Le jour où j’ai compris cela, je sus que j’avais trouvé mon chemin. »[1]

 

[1]PICASSO Pablo, Propos sur l’art, Paris, Éditions Gallimard (« Art et Artistes »), 1998, p. 121.

  • Erich Heckel, Nature morte au masque, 1912. 

  • Evoque un masque de l’Afrique orientale (collection Heckel).

  • Autre formule réappropriée : Afrique comme source inépuisable et hétéroclite en Europe.

Influences : les arts océaniens

  • Paul Gauguin, Les ancêtres de Tehamana, 1892. 

  • Compte-rendu désillusionné sur les méfaits de la colonisation : robe missionnaire (vertu et moralité).

  • Répertoire hétérogène : dispositifs symboliques complémentaires.

  • Partie supérieure : écritures empruntées à la civilisation pascuanes.

  • Partie du milieu : mythe polynésien de Tefatou.

  • Partie inférieure : référence au Péché originel (association femme / fruit).

  • Emil Nolde, Nature morte à la statue des Mers du Sud, 1915.

  • Sculpture Malagan (Nord de la Nouvelle-Irlande) / Uli (centre) : destinée aux rites funéraires. 

  • Intégration de l’objet comme curiosité exotique dans une nature morte : déperdition de sens.

Influences : les arts des Amériques

  • Paul Gauguin, Ève bretonne, 1889.

  • Momie chachapoya, Pérou, IX-XVe siècle, Paris, musée de l’Homme. Découverte en 1877 et présentée au musée d’Ethnographie du Trocadéro.[1]

  • Projection d’un imaginaire en réactivant les formes hiératiques et mystiques.

  • Adjoindre la thématique du Péché originel.

  • Emil Nolde, Nature morte aux masques I, 1911. 

  • Masque jaune à la bouche ouverte : écho plastique à une tête trophée d’Amazonie (ethnie du Munduruku). Effet de schématisation pour accentuer le caractère funèbre.

  • (Masque de profil rouge : écho plastique aux proues des îles Salomon, Océanie. Compénétration des sources).

  • Hannah Höch, Mutter, 1931.

  • Masque Kwakiutl : peuple amérindien de la province de Colombie-Britannique au Canada.

  • Association à la technique moderne dada du photocollage. 

  • Masque interpellant sur l’horreur de la Première Guerre mondiale (traumatisme latent) et sur le carcan social de la femme procréatrice. 

 

[1]BERNARDI Claire et FERLIER-BOUAT Ophélie (dir.), op. cit., p. 29.

Influences : les arts de l’Asie

  • Paul Gauguin (en collaboration avec Ernst Chaplet), Vase orné de feuillages, de grappes de raisins et d’oies, hiver 1887-1888.

  • Exposition universelle de 1878 : découvre les grès japonais des fours de Seto, Takatori ou de Satsuma. Suscite l’intérêt de Gauguin pour la rusticité, les irrégularités. Témoignage d’une autre beauté possible.

  • Cf. Pot à poudre de thé, XVIIe siècle, fours de Hiyamizu.

  • Lettre de P. Gauguin à Émile Schuffenecker (8 juillet 1888) : « Créer quelque chose de tout à fait japonais par un sauvage du Pérou. »[1]Mêler les origines et les espaces.

  • Emil Nolde, Le Missionnaire, 1912 (ci-dessous).

  • D’après une divinité des bords de route, Corée, Musée de Berlin.

  • Accentuation de la figure monstrueuse et inquiétante du missionnaire évangélisateur.

 

[1]BERNARDI Claire et FERLIER-BOUAT Ophélie (dir.), op. cit., p. 30.

Influences : les arts de l’Égypte

  • André Derain, Études d’après la tête Salt, Album « fauve »,s. d.

  • Intérêt pour les formes égyptiennes perceptible dans ses croquis réalisés au Louvre.

  • Mise en avant de la clarté et du schématisme (« leçon » égyptienne).

  • Absence de vraisemblance : mêle les époques et les styles.

  • Se concentre néanmoins ici sur la période de l’occupation romaine sous la Ve dynastie.

  • Réduction du visage à des lignes de force majeures.

  • « Œil égyptien » (cf. Matisse et Picasso) : évidé, suppression du regard.

  • Paroxysme de la géométrie simplificatrice du visage.[1]

  • Henri Matisse, Petite tête aux cheveux striés, 1906.

  • 1907-1908 : égyptomanie de Matisse.

  • Art égyptien mieux reconnu que les arts primaires en provenance des colonies : discours scientifiques, protection et conservation. Aspect « primitif mais non point sauvage ».

  • Évocation des têtes de porphyres rouges (exposées au Louvre).

  • Référence plastique aux bustes égyptiens : technique de la ligne et de l’incision pour le volume. 

  • Rupture avec la tradition rodinienne : tendre vers une synthèse plastique.[2]

  • Amedeo Modigliani, Amedeo Tête, 1912 (ci-dessous).

  • Influence nette de l’art égyptien.

  • Réactualisation moderne des formes.

 

[1]DAGEN Philippe, op. cit., p. 332-334.

[2]Ibidem, p. 320-329.

Influences : les arts du Proche-Orient

  • Henri Matisse, Nu bleu (souvenir de Biskra), 1907 et Max Pechstein, Aube, 1910.

  • Thématique de l’odalisque orientale.

  • Structuration sculpturale du corps : volume des couleurs.

  • 1905 : première exposition publique du Bain turcd’Ingres. Renouvellement du goût pour l’Orient et pour la sensualité féminine du harem.

B. Une relecture de l’art européen.

  • Primitivisme : remise en valeur des pratiques occidentales artistiques antérieures.

  • Répertoire de formes puisées dans l’art préhistorique européen, la Grèce archaïque, l’art médiéval, les primitifs italiens.

  • Élaboration d’un dialogue moderne en réactualisant des techniques et aspects plastiques.

Influences : l’art préhistorique

  • 1879 : découverte des peintures murales de la grotte d’Altamira (Espagne).

  • Événement inspirant les artistes pour une pratique rustique de la fresque : formes archaïques, simplifiées ; palette réduite.

  • Paul Gauguin, Pastorale tahitienne, 1898. 

  • Certes thématique tahitienne mais frise reprenant les codes de la peinture rupestre.

  • Camaïeu d’ocre et de rouge relevé de vert et de noir.

  • Postures figées.

  • Multiplicité des récits sur un seul support : format de l’anecdote.

  • Valorisation de la nature.

Influences : la Grèce archaïque

  • Renouer avec le berceau de la culture européenne.

  • Amedeo Modigliani, Cariatide, tête de profil gauche (étude), s. d. (à gauche)

  • Engouement pour les formes épurées et puissantes de l’art grec.

  • Primat de la ligne donnant la forme.

  • Autre rapport à la Grèce archaïque : traitement idéel des artistes du Die Brücke.

  • Emil Nolde, Enfants dansant sauvagement, 1909 (à droite).

  • Recherche de l’extase mystique et dionysiaque.

  • Réconciliation de l’art et de la nature.

  • Rappel des Bacchanales : fêtes religieuses interdites à cause du scandale et du chaos.

  • Volonté de façonner une nouvelle Arcadie.

  • Grèce archaïque conceptuelle.

  • Musée imaginaire et photographies dans la case de Gauguin :

  • Frise nord du Parthénon à Athènes, Homme drapé levant la main.

  • Atlante du temple de Dionysos à Athènes.[1]

 

[1]BERNARDI Claire et FERLIER-BOUAT Ophélie (dir.), op. cit., p. 34.

Influences : l’art médiéval

  • Paul Gauguin : a vu la Maesta de Cimabue (vers 1280) conservée au Louvre.[1]

  • Paul Gauguin, Le Christ vert. Calvaire breton, 1889 : sculpture archaïque bretonne rappelant plastiquement un groupe médiéval.

  • André Derain, La Danse, 1906 : figure drapée à gauche de la toile : traitement de la sculpture médiévale par les plis de la toge / tunique.[2]

 

[1]Ibidem, p. 28.

[2]DAGEN Philippe, op. cit., p. 305.

Influences : les primitifs italiens

  • Considération pour les poses hiératiques, l’importance des volumes et les couleurs franches s’exprimant pour elles-mêmes.

 

  • André Derain, Portement de croix, 1901.

  • Copie au Louvre (œuvre attribuée à Biagio d’Antonio).[1]

  • Transposition moderne : géométrisation accentuée, effets d’ombre, volumétrie pétrifiée.

  • « Chromatisme intense et varié ».

  • Manifestation future du chromatisme fauve.[2]

 

  • Figure tutélaire : Giotto 

  • Paul Gauguin : reproduction photographique de la Vie de la Madeleine, le voyage de Marie-Madeleine à Marseille, (insérée dans Noa Noa) de Giotto (vers 1320, fresque, Assise, église inférieure Saint François, chapelle sainte Madeleine).

 

« Giotto est le morceau capital. La Magdalena et sa compagnie arrivent à Marseille dans une barque. Les anges les précèdent, les ailes déployées. Aucune relation à établir entre ces personnages et la tour minuscule où entrent les hommes encore plus minuscules […] Qu’importe ! Si la conception est naturelle ou invraisemblable. J’y vois une tendresse, un amour tout à fait divin. Et je voudrais passer ma vie en si honnête compagnie. »[3]

  • Henri Matisse : « Giotto est pour moi le sommet de mes désirs. »[4]

 

  • Henri Matisse : regard tourné vers les couleurs denses et expressives des primitifs italiens.[5]Prémices de la puissance chromatique du mouvement fauve également.

  • Été 1907 : séjour de Matisse en Italie (Florence, Sienne, Arezzo, Padoue, Ravenne, Venise). Observation des fresques de Giotto et de Pierro della Francesca. 

  • Or selon Ph. Dagen : « [Matisse] regarde ces primitifs, il ne les imite ni ne les cite ».[6]

 

[1]DEBRAY Cécile (dir.), op. cit., p. 23.

[2]DAGEN Philippe, op. cit., p. 304-305.

[3]GAUGUIN Paul, Avant et après, éd. 1923, p. 106 in BERNARDI Claire et FERLIER-BOUAT Ophélie (dir.), op. cit., p. 32 .

[4]MATISSE HENRI, Écrits et propos sur l’art, Paris, Hermann, 1972 p. 204 in DAGEN Philippe, op. cit., p. 299.

[5]Henri Matisse : « Raphaël, Mantegna, Dürer, comme tous les peintres de la Renaissance, construisent par le dessin et ajoutent ensuite la couleur locale. Au contraire, les primitifs italiens et surtout les Orientaux avaient fait de la couleur un moyen d’expression. », ibidem, p. 199 in DAGEN Philippe, op. cit., p. 301.

[6]DAGEN Philippe, op. cit., p. 303-304.

C. Le "re-balbutiement" de la culture populaire (formule employée par Maurice Denis)

  • Autre répertoire de formes et de sujets archaïques et purs.

  • Faire revivre les pratiques culturelles populaires.

  • Rendre hommage au quotidien et aux croyances rustiques.

 

  • Paul Gauguin, Les Baigneurs, 1888.

  • Goût pour le rapport être humain / nature : nudité.

  • Lettre à Van Gogh (22 juillet 1888) : « sans exécution ». Volonté de créer une œuvre aussi peu élaborée que possible : tendre vers une esquisse enfantine, fraîche et simple.

  • Prôner une brutalité dans le style en rapport avec la thématique triviale de la baignade.

 

Lettre de P. Gauguin à Schuffenecker, Pont-Aven, février 1888 : « J’aime la Bretagne : j’y trouve le sauvage, le primitif. Quand mes sabots résonnent sur ce sol de granit, j’entends le ton sourd, mat et puissant que je cherche en peinture. »[1]

 

  • Paul Gauguin, Le Christ jaune, 1889.

  • Référence à une religion chrétienne archaïque. Nostalgie d’une foi primitive.

  • Archaïsme de la religion en rapport avec un archaïsme pictural et plastique.

  • Bretagne : vestige d’une religiosité forte à l’écart de la modernité.

  • Citation de Mirbeau : créer un ensemble de formes faisant sens entre elles ; exaltation mystique.

 

Octave Mirbeau, « Paul Gauguin », L’Écho de Paris, 16 février 1891 : « Il y a dans cette œuvre un mélange inquiétant et savoureux de splendeur barbare, de liturgie catholique, de rêverie hindoue, d’imagerie gothique, de symbolisme obscur et subtil. »[2]

 

  • Pablo Picasso, Buste de fermière et La fermière, 1908.

  • Peinture synthétique : gamme chromatique réduite et hachures.

  • Monumentalité et rusticité. Corps robuste et façonné par le labeur.

  • Suggestion du travail paysan par la forme.

  • Langage métaphorique. Peinture expressive.

  • Aspect monolithique.

 

  • Vassily Kandinsky, Almanach Der Blaue Reiter, 1911.

  • Présence de dessins d’enfant : nouvelles formules primitives.

  • Enfant : esprit non formaté par les préceptes classiques de l’art. Marge pour la création.

  • Idéal : artiste-enfant. Création de formes pures.

  • Enthousiasme pour une sorte de régression.

  • Mettre sur le même plan le musée ethnographique et la chambre d’enfant :

 

Paul Klee, 1911 : « n’oublions pas que l’art a ses origines dans les musées ethnographiques ou chez nous dans les chambres d’enfant [...] Les enfants aussi peuvent faire du grand art ».[3]

 

[1]GAUGUIN Paul, Correspondance, 1873-1888, t. 1, Paris, fondation Singer-Polignac, 1984, p. 172 in DAGEN Philippe, op. cit., p. 129.

[2]In DAGEN Philippe, op. cit., p. 130.

[3]Citation du TD.

III. Deux figures tutélaires pour l’exploration des voies du primitivisme : Paul Cézanne et Paul Gauguin.

A. La diffusion de l’Arcadie cézannienne.

  • Paul Cézanne : doté d’une solide culture gréco-latine ; élaboration d’un Éden pastoral (harmonie de l’homme et de la nature) ; distance avec la modernité.

  • Traitement des formes par la couleur (et période couillarde : application sauvage de la peinture) : réduction et simplification.

  • Cézanne, Les Baigneurs au repos, 1875-1876 : corps et nature du mythe de l’Âge d’or. Proposer un paradis originel.

  • Cézanne, Trois baigneurs, 1879-1882 : œuvre achetée par Matisse sur les conseils de Picasso.

  • 1906 : mort de Cézanne (même année : Salon d’Automne rendant hommage à Courbet et Gauguin). Rétrospective l’année suivante (à laquelle assiste Picasso).

 

Daniel-Henry Kahnweiler : « Je pense que ce fut avant tout Derain qui transmit aux autres la leçon plastique et théorique de Cézanne. Son passé le prédestinait à ce rôle et il était assez mûr pour le comprendre. Je me sens confirmé dans cette thèse par le fait que parmi tous ces peintres seul Derain comprit l’essence de la recherche cézannienne et la poursuivit d’une manière originale. »[1]

 

  • Séjour de Derain à l’Estaque (lieu de résidence de Cézanne) : volonté de traduire l’esthétique cézannienne en sculpture (traitement du volume et de la lumière).

  • Impératif de Derain : « grouper des formes dans la lumière ». 

  • André Derain, Figure debout, 1906-1907.

  • Emprunt de la thématique de la baigneuse.

  • Exaltation de l’anatomie féminine.

  • Personnalisation des formes.

  • « La pierre contraint à des simplifications radicales » (éloignement de l’étude originale réalisée).

  • Expérimentation (comme Picasso).[2]

  • André Derain, Les Baigneuses, 1907.

  • Harmonie cézannienne.

  • Construction géométrique (buste de la baigneuse centrale : triangles, trapèzes).

  • Absence de détails physionomiques.

  • Réminiscence de l’archaïsme purifié et cézannien.[3]

  • Picasso, Étude pour le marin, 1907.

  • Reprise de la géométrie cézannienne.

  • Emotions transmises par les formes.

  • Henri Matisse, Nu de dos (I), 1909 ; Nu de dos (II), 1913 ; Nu de dos (III), 1916-1917.

  • Référence aux baigneurs et baigneuses de Cézanne.

  • Corps en fusion avec la nature : aspect végétal.

  • Sculpture-relief : simple structure du dos.

 

[1]DEBRAY Cécile (dir.), op. cit., p. 155.

[2]DAGEN Philippe, op. cit., p. 442-444.

[3]Ibidem, p. 446-449.

B. Gauguin : une source parmi les sources pour repenser l’art.

Pierre Girieud : « Bien autrement profonde et durable sera l’influence de Gauguin qui, remontant hardiment aux sources primitives, a traduit, avec une volonté souveraine, en harmonies décoratives, des compositions du plus haut style où triomphe en une synthèse panthéiste la vie luxuriante de la nature. »[1]

 

  • Source influente.

  • 1906 : rétrospective popularisant et faisant redécouvrir son œuvre et ses sculptures. Échos chez Derain, Matisse, Picasso. Établir une filiation.

  • Aussi échos en Allemagne : citations de Gauguin par les artistes Die Brücke.

  • Première phase de réappropriation : début du XXe à 1906. Derain, Matisse, Picasso : intérêt gauguinien pour les œuvres de Tahiti, des Marquises, pour l’aspect sauvage (alternance scènes modernes et oniriques). Engouement pour le chromatisme et l’assemblage. Association de motifs (danse, nudité, exotisme) propre à l’expression d’un Éden gauguinien.

  • Paul Gauguin, Là réside le temple, 1892 : « additions » et « collages ».[2]Fabrication à partir d’un croquis (Croquis ornement d’oreille marquisien (détail), 1892). Hybridation des cultures polynésiennes et imaginaires.

  • Seconde phase : 1906-1907. Toiles fauves gauguiniennes, expérimentation de la taille directe.[3]

 

  • 1895, 1896, 1897 : voyages successifs de Matisse en Bretagne sur les traces de Gauguin.

  • Hiver 1899-1900 : échange une de ses toiles avec le Jeune Homme à la fleur de Gauguin. Intérêt pour l’exotisme tahitien et arcadien : pittoresque et sauvagerie.[4]

 

  • Henri Matisse, Le Bonheur de vivre, 1905-1906.                                 

  • Puiser dans le chromatisme émotionnel et subjectif de Gauguin.

  • Couleur comme « expression du sentiment et « construction de l’espace ».[5]

  • Proximité avec la thématique des baigneuses.

  • Emploi de la figure de Gauguin comme élément de synthèse.[6]

  • Facture gauguinienne : repos, harmonie, désir érotique (cf. Gauguin, Eh quoi ! Tu es jalouse, 1892).

 

  • André Derain, L’Âge d’or, 1905.

  • Référence au « bricolage » gauguinien.

  • Désaccord entre les parties du tableau : Arcadie face à la modernité anxiogène.

  • Iconographie hétérogène (posture de l’effroi, baigneuse archaïque, festivité).

  • Chromatisme puissant et expressif.

  • 1906 : imite Gauguin pour sa pratique de la gravure sur bois. S’empare de la xylographie (cf. Derain, Nu, vers 1906). Schématisme volumétrique.

 

  • Ernst Ludwig Kirchner, Nu au tub, 1911.

  • Processus de l’assemblage gauguinien.

  • Cariatide accroupie rappelant l’art de l’Afrique subsaharienne.

  • Statue imprécise sur le plateau soutenue par la cariatide.

  • Derrière : figure aux formes géométriques noires (évocation d’un bouclier de Papouasie ou de Nouvelle Guinée).

 

  • Karl Schmidt-Rottluff, Nus en plein air, 1913.

  • Chromatisme subjectif et vif : rouge exalté et passionnel.

  • Tension entre la nature, la nudité et la sexualité (amorcée ici par Gauguin).

  • Naturisme ambiant : régénérescence et Arcadie (cf. vogue en Allemagne au début du XXe siècle).

  • Association de l’érotisme et de l’onirisme.

 

[1]In DAGEN Philippe, op. cit., p. 246.

[2]Ibidem, p. 178.

[3]Ibidem, p. 257-258.

[4]Ibidem, p. 259-260.

[5]MATISSE HENRI, Écrits et propos sur l’art, Paris, Hermann, 1972 p. 94 in DAGEN Philippe, op. cit., p. 265.

[6]DAGEN Philippe, op. cit., p. 262-265.

C. La thématique du voyage comme échappée.

  • Artistes-voyageurs : faire face à la désillusion mais aussi expérience de rupture et de constat de la décadence de sa propre société 

  • Voyages permettant de fixer les vestiges de l’archaïsme, des rites, des coutumes, des civilisations sur le point de disparaître par l’excès de colonialisme et de modernité.

  • Expression de Ph. Dagen à propos de Gauguin : « tableaux de mœurs »[1]. Formule applicable à d’autres artistes-voyageurs : œuvres à valeur de testament des sociétés.

 

  • Paul Gauguin, Terre délicieuse, 1892.

  • 1891-1893 : premier séjour à Tahiti.

  • Fait face à la colonisation ravageuse (acculturation catholique, transmission de la syphilis).

  • Disparition de l’Arcadie polynésienne : femme tentatrice, Ève fantasmagorique.

  • Hybridation : érotisme / exotisme.

  • Synthèse de différentes cultures : femme reprenant plastiquement la posture d’une figure issue d’un relief du temple de Borobudur (Java, Indonésie). Proximité avec les motifs simplifiés de son séjour breton. 

  • Désir de Gauguin : recréer un âge d’or polynésien (bricolage). Sorte d’archéologue et d’ethnologue (de l’utopie).[2]

 

  • 1913-1914 : voyage de Nolde au Nouveau Bismarck et en Nouvelle Irlande. Mission ethnographique médicale officielle.

  • Emil Nolde, Jeune femme au collier, 1914. 

  • Pratique de l’aquarelle.

  • Carnets : annotations des éléments décoratifs, coiffures, détails vestimentaires.

  • Montrer la vie intime et quotidienne.

  • Étude de la physionomie : individualisation (ne pas réduire à un type nègre).

  • Dernier regard sur une civilisation.

  • Rapport à la modernité décadente allemande :

  • Avant son départ : Emil Nolde, Danseuses aux bougies, 1912 (excitation et violence chromatique ; critique virulente face à une société grotesque : dimension caricaturale). 

  • Après son retour : Emil Nolde, Paradis perdu, 1921 (œuvre manifeste ; évoque la poésie de la perte de l’innocence chère à Gauguin ; état de nature détruit).

 

  • 1918-1926 : retraite alpine de Kirchner (même processus de retour aux sources que Gauguin en Bretagne puis en Polynésie).

  • Traumas de l’après-guerre : dépression, alcoolisme.

  • Volonté de renouer avec la rusticité montagnarde.

  • Ernst Ludwig Kirchner, Alpleben, 1918.

  • Vie bucolique et idyllique.

  • Triptyque des activités paysannes.

  • Mise en avant des forces de la nature.

  • Retour à la civilisation : désillusion dans son tableau emblématique Usines à Chemnitz, 1926.

[1]DAGEN Philippe, op. cit., p. 153.

[2]Ibidem, p. 163.

CONCLUSION

En définitive, les sources du Primitivisme relèvent de l’hybridation : les artistes interprètent à leur manière les diverses formules plastiques et conceptuelles pour aboutir à des solutions dites primitives(ici à comprendre comme exaltation d’une pureté archaïque). Ils constituent des répertoires synthétiques traversant les époques et les régions. Joshua I. Cohen définit avec pertinence dans son article « Derain et l’art primitif »[1]les espaces et moments cités par les artistes primitifs : l’art antique regroupant la Préhistoire, l’Égypte, le Proche-Orient, l’Asie ; l’art européen médiéval et des premiers temps de la Renaissance et enfin l’appellation globalisante « art nègre » qui rassemble l’art africain et l’art océanien. À cette typologie s’ajoute la réévaluation de la culture populaire qui ranime des sujets triviaux et mystiques mais également les productions naïves des enfants. De même, l’engouement des artistes s’accompagne d’une circulation des idées grâce aux ouvrages scientifiques et narratifs, conjointement avec la formation d’un premier regard sur les cultures et objets extra-occidentaux (ainsi que primitifs). Par ailleurs, les artistes du début du XXe siècle bénéficient d’une autorisation artistique à perpétuer l’intégration de formes et sujets primitifsdans leurs œuvres : ils se réfèrent aux figures tutélaires de Paul Cézanne et Paul Gauguin qui, à la fin du XIXe siècle se sont singularisés par leur esthétique. Tandis que l’un réduisait le volume à la couleur, le second a expérimenté tous les supports (peinture, frise, sculpture) pour établir une subjectivité tantôt chromatique tantôt plastique, quelque soit son lieu d’exil (Bretagne, Polynésie). Les deux se rejoignent dans un idéal commun : faire revivre une Arcadie naturelle teintée d’érotisme (associée à l’exotisme pour Gauguin) sur les bases du désenchantement. Le Primitivisme est alors intégré aux modernités artistiques.

 

Le choix de mener une étude des sources du Primitivisme jusqu’à la Première Guerre mondiale (à l’exception de l’évocation de l’œuvre Mutter de Hannah Höch datant de 1931) s’explique par la mise en place d’un autre regard sur les pratiques et objets primitifs. En effet, l’ouvrage de Carl Einstein intitulé NegerPlastik publié en 1915 pose les jalons d’un nouveau traitement des arts primitifs. Sa réédition en 1922 stimule les esprits des avant-gardes vers une nouvelle reconnaissance. Après le conflit et dans les années 1920, se constitue donc une nouvelle considération des productions extra-occidentales et premières. Elles ne sont plus des vecteurs de dégoût ou de curiosité mais de véritables centres d’intérêt pour les amateurs. Le tournant des collectionneurs transmute l’objet primitifen œuvre d’art par le biais de la diffusion et de la commercialisation. Les années 1930, quant à elles, poursuivent l’engouement artistique et économique grandissant : une première exposition d’arts africains et océaniens a lieu à la Galerie Pigalle (1930) et en juillet 1931 se déroule la vente « Sculptures d’Afrique, d’Amérique, d’Océanie » d’André Breton et de Paul Éluard sous le magister de Maître Bellier à Drouot. Le mouvement dada et le Surréalisme imposent ainsi une autre manière d’examiner les œuvres primitives.

 

Cette réévaluation des années 1920-1930 peut faire écho au débat réactivé il y a environ une semaine par les propos du Président de la République : « Le patrimoine africain ne peut pas être uniquement dans des collections privées et des musées européens. Il doit être mis en valeur à Paris, mais aussi à Dakar, Lagos, Cotonou […]. Ce sera l’une de mes priorités. D’ici cinq ans, je veux que les conditions soient réunies pour un retour du patrimoine africain à l’Afrique. » Il ravive de la sorte des tensions en rapport avec la constitution du patrimoine français sur la base du pillage colonial (le musée du Quai Branly est particulièrement visé : le Bénin avait fait une demande de restitution des divinités Fon Geso Glele Behanzin, rejetée par la législation française considérant les œuvres de ses musées comme inaliénables et imprescriptibles). Les avis sont partagés entre repentance et partage culturel d’une part et refus du retour des œuvres dans leur pays d’origine d’autre part, qui participent désormais à l’édification du regard public et à un discours artistique et scientifique garantissant la pluralité visible des pratiques et expressions esthétiques.[2]

 

[1]DEBRAY Cécile (dir.), op. cit., p. 129.

[2]ERNER Guillaume, « Restituer le patrimoine africain : la promesse d’Emmanuel Macron est-elle tenable ? », France Culture, 14 décembre 2017, URL : https://www.franceculture.fr/emissions/la-question-du-jour/restituer-le-patrimoine-africain-la-promesse-demmanuel-macron-est-elle-tenable, [consulté le 16 décembre 2017] et TIN Louis-Georges, « La restitution des œuvres issues des pillages coloniaux n’est plus un tabou », in LeMonde.fr, 1erdécembre 2017, mis à jour le 5 décembre 2017, URL : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/12/01/la-restitution-des-uvres-issues-des-pillages-coloniaux-n-est-plus-un-tabou_5223058_3212.html, [consulté le 16 décembre 2017].

SOURCES

Ouvrages 

 

DAGEN Philippe, Le peintre, le poète, le sauvage. Les voies du primitivisme dans l’art français, 2e édition, Paris, Flammarion (« Champs arts »), 2010.

GAUGUIN Paul, Oviri, Paris, Éditions Gallimard, (collection « Folio / Essais »), 1974.

PICASSO Pablo, Propos sur l’art, Paris, Éditions Gallimard (« Art et Artistes »), 1998.

 

Catalogues d’exposition

 

BERNARDI Claire et FERLIER-BOUAT Ophélie (dir.), Gauguin. L’alchimiste, cat. exp., Paris, Éditions Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 2017.

DEBRAY Cécile (dir.), André Derain. 1904-1914, la décennie radicale, cat. exp., Paris, Éditions du Centre Pompidou, 2017.

 

Références électroniques

 

ERNER Guillaume, « Restituer le patrimoine africain : la promesse d’Emmanuel Macron est-elle tenable ? », France Culture, 14 décembre 2017, URL : https://www.franceculture.fr/emissions/la-question-du-jour/restituer-le-patrimoine-africain-la-promesse-demmanuel-macron-est-elle-tenable, [consulté le 16 décembre 2017].

TIN Louis-Georges, « La restitution des œuvres issues des pillages coloniaux n’est plus un tabou », in LeMonde.fr, 1erdécembre 2017, mis à jour le 5 décembre 2017, URL : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/12/01/la-restitution-des-uvres-issues-des-pillages-coloniaux-n-est-plus-un-tabou_5223058_3212.html, [consulté le 16 décembre 2017].

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