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Poésie et politique. Calligraphie de la vérité chez Gao Bo.

Gao Bo, « Les Offrandes », Maison Européenne de la Photographie, 08 février-09 avril 2017.

Première salle d’exposition à la Maison Européenne de la Photographie « Offrande au peuple du Tibet ».

Deux questions des plus banales surgissent à l’esprit pour aborder l’exposition « Les Offrandes » à la Maison Européenne de la Photographie et à la Maison de la Chine : qui est Gao Bo ? comment œuvres et vie s’articulent-elles ? Nul doute ici que l’artiste est voyant (pour moderniser la célèbre notion d’Arthur Rimbaud) et que Gao Bo pressente le besoin organique de devenir artiste alors que sévit la Révolution Culturelle en Chine. Bien que le mot « artiste » n’existe pas, il sera son équivalent en tant que « personne propageant »[i]une élégie méditative façonnée par l’omniprésence et la déclinaison du voyage, dialoguant avec le médium photographique, jouant sur la polysémie de l’offrande, du sang, de l’écriture. Celui qui se rêve en cowboy lorsqu’il part à la découverte du Tibet pendant ses études aux Beaux-Arts muni d’un simple appareil photographique[ii]reviendra en porte-parole contemplatif de la vie quotidienne, révélant par ailleurs ses blessures, critiquant la violence de sa société, jusqu’à emplir actuellement plusieurs salles de la MEP (initialement une seule prévue), jusqu’à afficher une autre partie de ses clichés à la Maison de la Chine. Fidèle à une idée d’œuvre d’art totale et en témoignage de l’étendu de son travail, Gao Bo a fait publié deux riches et exceptionnels ouvrages imprégnés de sa pensée. Sans prétention pour le lecteur d’accomplir le voyage initié tout au long de l’exposition, l’essence du propos résiderait en une poursuite mélancolique d’une exploration spirituelle, exploration introspective soufflée par l’artiste chinois, éclaboussant le regardeur à l’instar des parois de la MEP stigmatisées un temps par une de ses performances. 

À l’origine de l’œuvre photographique de Gao Bo, il y a un voyage, celui du Tibet en 1985. D’ailleurs, plus qu’un voyage, c’est une véritable révélation métaphysique. L’impérialisme chinois qui pourrait façonner ces visages mélancoliques et chaleureux, ces paysages dévastés et rocailleux, ces scènes de vie triviales et tragiques s’efface finalement devant le souci de sincérité érigeant chaque cliché en un sujet noble. La force du peuple tibétain se dessine alors au travers des motifs plastiques, des effets d’ombre et de lumière, de la texture immuable du travail instantané. Cette série, bercée par la tolérance et la croyance au sein de la première salle, prouve que la photographie chez Gao Bo ne sait et ne peut pas mentir. Bravant les frontières des civilisations et de l’esprit, l’artiste opère un voyage fusionnel avec le spectateur doublé d’un voyage métaphorique reposant sur une pensée antinomique. Le visiteur est invité à errer au fil de l’accrochage d’une rive à l’autre[iii], d’une exploitation franche de la photographie à une manipulation décomposée. Cette procession scénographique nous contraint à notre propre finitude en exhortant le Yin et le Yang qui nous habite. L’installation La Source légitime cette présence frustrante face à la mort : humble et solennel révérence à sa mère décédée « trop tôt », Gao Bo dresse un autel à celle qui rythme et inspire ses créations. Il énonce cette réflexion subtile sur la vie et la mort en ces termes : « L’ensemble de mon œuvre est un hommage à ma mère. Moi j’ai très envie de mourir, pour renaître. »[iv]

La photographie reprend à cet égard le topos d’un souvenir fixé, qu’il s’agisse d’une présence physique évanescente (Lhasa, Tibet, 1993) ou d’une idée pérenne. Ce paradoxe esthétique culmine dans la série performative des condamnés à mort. À son habitude Gao Bo ne précise pas le titre de ses œuvres, dans une volonté probable de ne pas nuire à l’entière qualité du sujet. En tant qu’artiste contemporain, il endosse certes le rôle d’inquisiteur – ce dont nous traiterons plus loin – mais également d’instigateur de nouvelles voies d’expression. Et ces monumentaux squelettes de bois, noircis par le feu, vestiges consumés par l’oppression ; ces photographies de condamnés à mort débutent le long chemin artistique et géographique qu’est l’œuvre d’art comme support politique dont les cendres ont pour but d’être rendues aux familles des défunts[v], ultime salut pour celui qui enfant se délectait de ces sinistres spectacles[vi]. Une installation analogue à des plotons d’exécution accompagne cette série polémique, eux-aussi autels transpercés par des néons, surmontés de sobres portraits. Gao Bo, dans ses dernières œuvres, met à mal le langage photographique. Jeune support selon lui[vii], il doit subir un questionnement plastique intense et violent, en témoigne la performance réalisée consistant à recouvrir de peinture non permanente d’immenses tirages traversés de néons rouges en croix, référence possible aux interrogations identitaires des coupes anthropométriques. L’artiste insinue d’une certaine manière par une matière qui s’estompe le primat de la photographie comme mode de représentation pur et vrai, d’après ses principes. Outre cette matérialité en action, tel un organisme autonome, G. Bo n’hésite pas, enfin, à s’emparer de la tradition pour en faire un usage original et novateur appliqué à la photographie. Ces mille portraits tirés sur pierres accueillant le visiteur repoussent ainsi les limites. Ils clôturent un rituel mystique et symbolique, là où commence le pèlerinage du regardeur. Ces pierres des plus communes au Tibet retiennent des visages méconnus qui pourtant nous scrutent et appellent silencieusement tant à l’introspection qu’à une réflexion sur le médium.  

C’est dans cette installation que réside le cœur de la philosophie artistique de Gao Bo : « Les Offrandes ». Des offrandes au peuple du Tibet qui bordent son œuvre, une offrande à sa mère et, pour finir, cette exposition à considérer comme une offrande pour le peuple français.

Au-delà d’un positionnement de culture contre culture, G. Bo efface les frontières de la communication en parant ses photographies d’un cadre graphique indéchiffrable, émanant de son esprit, exprimant l’indicible. On pourrait dire : une écriture automatique[viii]. Cette « voix de l’âme »[ix]transfigure à la fois l’écriture d’une image sur une page et la photographie d’une vie qui s’écrit (essentiellement quand l’artiste retranscrit sous forme de pellicule une prise de vue). Véritable artisan pictural, son sang signe, et bien plus, calligraphie ses œuvres. Il lui confère un caractère polysémique, écho aux thématiques de la présence/absence, de la religion, de la violence et de la morosité qui sillonnent son œuvre. D’autre part, il transfuse ces visages, ces paysages, ces scènes de vie du Tibet à son propre ADN, opérant en ce sens un dialogue identitaire et poétique entre deux cultures. Cette élégie se perpétue avec la nature. Ne tombons pas dans le piège d’assimiler traces de sang et bandages aux transgressifs actionnistes viennois. Et privilégions une lecture intime entre l’homme et la nature. Les installations de l’artiste chinois se nourrissent de ce dialogue et décline ses revendications politiques, obligatoirement inhérentes à n’importe quelle œuvre[x]. Il apparaît alors plus que jamais comme un être blessé par la violence du monde qui l’entoure, frêle branche pansée, suintant de mélancolie…

 

En somme, Gao Bo pratique une performance photographique poétique et politique. Durant ces dix dernières années d’activité retracées dans l’exposition « Les Offrandes », les commissaires François Tamisier, Jean-Luc Monterosso et Na Risong axe sur « L’art [qui] est une blessure »[xi]supposant l’offrande sacrificielle de ce fait, mais également une blessure procurée au médium photographique qui laisse le soin pour Gao Bo de s’engouffrer et d’en exploiter toutes les possibilités. Ce velouté du réel si sensible dans ses clichés remémore la photographie humaniste des années 1940-1960 voyant et capturant la vie quotidienne et ses protagonistes, dans cette atmosphère de « réalisme poétique » (Georges Sadoul) présente dans l’exposition par le biais des chants tibétains et des murs pourpres.

 

[i]GOUMARRE Laurent, France Inter, magazine « Le nouveau rendez-vous », émission « Gao Bo, Guibert, le désert et Her en live », 16 février 2017, [en ligne, consulté le 16 février 2017] https://www.franceinter.fr/emissions/le-nouveau-rendez-vous/le-nouveau-rendez-vous-16-fevrier-2017.

[ii]PATIENT Brigitte, France Inter, magazine « Regarder voir », émission « Gao Bo : ‘L’art est une blessure’ », 19 février 2017, [en ligne, consulté le 19 février 2017] https://www.franceinter.fr/emissions/regardez-voir/regardez-voir-19-fevrier-2017.

[iii]Référence à l’installation de Gao Bo, Offrande à ma mère, 2011-2015, surmontée de néons esquissant les termes « L’Autre Rive ».

[iv]PATIENT Brigitte, op.cit.

[v]Ibidem.

[vi]BECQUART Laurène, Phototrend, « Visite de l’exposition « Les Offrandes » de l’artiste-photographe chinois Gao Bo à la MEP », 11 février 2017, [en ligne, consulté le 17 février 2017] https://phototrend.fr/2017/02/mep-offrandes-photographe-chinois-gao-bo/.

[vii]PATIENT Brigitte, op.cit.

[viii]ETIENNE Laure, Polka, « Gao Bo à la MEP : la photographie comme matériau », 15 février 2017, [en ligne, consulté le 17 février 2017] http://www.polkamagazine.com/gao-bo-a-la-mep-la-photographie-comme-materiau/

[ix]BECQUART Laurène, op.cit.

[x]PATIENT Brigitte, op.cit.

[xi]Ibidem.

Exposition « The Geat Darkness-From Gao Bo to GB A Multimedia Photography Exhibition », 

Tokyo Gallery, 17 décembre 2015-28 février 2016.

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