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Tod Browning, Freaks, 1932.

Analyse filmique : séquence du repas de noces.

I. UN MARIAGE SYNONYME D’UN NUMÉRO DE SPECTACLE. 

A. L’immersion au sein de la famille du cirque.  

B. Le jeu de l’illusion et de la désillusion.    

C. Un mariage sous le signe d’une parade polysémique.  

 

 

II. LE BASCULEMENT DANS L’HORREUR. 

A. Des comportements excessifs : interrogation de la notion de normes.   

B. Humiliation et infantilisation subies par Hans.  

C. Une séquence préfigurant le destin de Cléôpatre.  

TOMASOVIC Dick, Freaks. La Monstrueuse Parade de Tod Browning. De l’exhibition à la monstration. Du cinéma comme théâtre du corps, Liège, Éditions du Céfal, 2005.

Tod Browning est une figure emblématique de l’émergence du cinéma américain comme véritable industrie, à laquelle il n’hésite pas à rappeler par son fort enthousiasme pour le monde forain, son identification au monde du spectacle. En effet, le cinéma remplace très rapidement les rendez-vous familiaux au cirque, bien que ce soit toujours un lieu de divertissement : Tod Browning travaille dans des cirques en tant qu’assistant avant de rejoindre en 1913 David Wark Griffith pour qui il sera par la suite scénariste et également assistant lors du tournage d’Intolérance (1916). Complètement imprégné par l’univers gothique et par l’Expressionnisme allemand – il faut d’ailleurs rappeler à ce titre que les années 1930 sont teintées d’instabilité à la suite de la crise économique et mondiale de 1929, ce qui appuie des productions filmiques traduisant le malaise sociétal – il connaît le succès en 1931 avec son adaptation de Dracula, premier film d’épouvante. Un an plus tard, la Metro-Goldwin-Mayer fait appel à son génie cinématographique pour contrer la concurrence entre les studios (Frankenstein et Dr Jekyll and Mr. Hyde, produits respectivement par Universal et Paramount ayant connu une grande prospérité). 

Tod Browning propose de cette manière d’adapter ici encore une nouvelle lui ayant été transmise par Harry Earles : « Spurs » de Tod Robbins narrant l’histoire d’une vengeance au sein d’un cirque où s’opposent les freakshumiliés (c’est-à-dire des êtres caractérisés par des difformités physiques) par les personnes considérées comme normales. L’issu est funeste : les freaks s’associent pour venger Hans, un nain fortuné ayant été abusé par Hercule et Cléopâtre. Tous les thèmes récurrents dans l’œuvre de Browning sont alors réunis : gothique, horreur, criminalité, monstruosité, question du corps et de la normalité, dualité… Le film est doublé de conditions de tournage difficiles et d’un échec : les techniciens ne veulent pas par exemple côtoyer à la cantine les acteurs handicapés, ces derniers ne veulent pas partager leur notoriété[1], le film suscite des réactions controversées (public quittant la salle lors des projections, censure et ajout d’un happy-end visant à supprimer l’émasculation de Hercule et le probable viol de Cléopâtre par les monstres). Freaks est donc avant tout un « film du basculement, esthétique et narratif, d’une forme de représentation devenue mineure (l’art forain) vers une autre, devenue majeure (le cinéma), d’un processus de monstration du corps (l’exhibition théâtrale) à un autre (le montage visuel), d’un mode de confrontation à l’altérité (l’étranger) à un autre (l’étrangeté)[2]. »

Notre étude portera sur la séquence charnière du long-métrage, située à sa moitié en fonction des versions : elle succède au plan machiavélique mis en place par Hercule et Cléopâtre afin d’assassiner et de dépouiller Hans. Cléo décide alors de se marier à lui, qui est tombé sous son charme. Ici nous assistons au repas de noces. Il a tout l’air d’être banal, jusqu’à ce qu’un renversement de situation s’opère. Cléo se rend compte qu’elle vient d’épouser un freak et qu’elle va faire partie de sa communauté, elle qui est considérée comme un « oiseau de paradis » par sa beauté et sa majesté. Climax du film, elle ne veut pas renoncer à son statut de belle femme, mais désire toutefois obtenir la fortune de son jeune époux. Elle dévoile son véritable mépris envers les monstruosités, ce qui installe un nouveau rythme dans la suite de la narration. 

 

Comment Tod Browning remet-il en jeu le dogme du vrai et de la vérité[3]qui lui est propre afin de servir son propos sur la monstruosité à travers la séquence pilier de Freaks ?

Nous traiterons du mariage, synonyme de numéro de spectacle avant de nous pencher sur le basculement de cette séquence dans l’horreur. 

 

[1]TOMASOVIC Dick, Freaks. La Monstrueuse Parade de Tod Browning. De l’exhibition à la monstration. Du cinéma comme théâtre du corps, Liège, Éditions du Céfal, 2005, page 24.

[2]Ibidem, page 10.

[3]Ibidem, page 21.

I. Un mariage synonyme de spectacle.

A. L'immersion au sein de la famille du cirque.

  • Huis-clos : séquence se passant entièrement sur piste du cirque.

  • Premier plan : plan d’ensemble en plongée=> tous les freaks et les personnes normales réunis et en train de perpétuer soit un de leur numéro (Koo-Koo) ou de s’amuser.

  • Piste du cirque : freaks faisant un spectacle pour eux-mêmes => absence de spectateurs et gradins vides. 

  • Festin : réunion privée, auquel nous sommes conviés via la caméra (impression de voyeurisme ?)

  • Mise en doute du mariage : doit-on prendre au sérieux un repas de noces se situant sur une piste de cirque ? Ambiguïté et déformation de la réalité. 

  • Impression de partage et de convivialité. Union de deux familles : freaks et non-freaks.

 

 

  • Festivité : clarinettes jouées par les deux sœurs siamoises => musique diégétiquedébutant lors du carton. 

  • « Born-freaks[1] » se donnant en spectacle sur piste du cirque habituellement devant les spectateurs et ici donnant un spectacle leurs caractéristiques. Panoramique droite-gauche en plans poitrines entrecoupé de plans fixes puis discontinu=> présenter de manière plus intime leurs difformités :

  • Joséphine-Joseph.

  • Un autre nain.

  • La femme sans bras.

  • La femme à barbe.

  • La femme cigogne.

  • Koo Koo.

  • Auparavant : « gaffed freaks[2] » => réaliser propre tour impressionnant :

  • Professeur (l’avaleur de sabres) : plan américain accompagné de la brutalité d’un panoramique ascendant. Témoigner surprise de l’engloutissement et de sa performance, entrecoupée d’un plan rapproché buste sur Madame Tetrallini appuyant l’effet produit.

  • Volcano : plan rapproché buste.

 

[1]TOMASOVIC Dick, op. cit., page 67.

[2]Ibidem

Ainsi nous voguons de plans en plans, et de cette manière de numéros en numéros. Le repas de noces supposant au final un vaste numéro de cirque, par son emplacement et les divertissements qu’il propose, de même que par le plan d’ouverture de la séquence englobant les performances. 

B. Le jeu de l'illusion et de la désillusion.

  • Tout d’abord : Hans privé de son statut de maître de cérémonie habituel => relayé par le cul-de-jatte et un autre nain.

  • Donc époux bafoué.

  • Hans portant un smoking = costume des illusionnistes. 

  • Donc illusion d’un mariage d’amour au profit d’un mariage cupide. 

  • Distance s’accentuant entre le couple initial Frieda-Hans : Frieda à l’autre bout de la table face à Hans. 

  • Plan d’ensemble du début nous permettant cette compréhension : opposition d’autant plus renforcée par le raccord regardoffrant un champ contre champ (abolissant la distance ici). 

  • En effet : Frieda attristée de la situation de Hans lorsqu’il est trompé (pleurs).

  • Opposition vestimentaire entre Frieda et Cléo : Frieda davantage proche d’une mariée par sa tenu que Cléo (parure comme son personnage). 

  • Aussi : mise en avant du personnage principal de la séquence => Cléopâtre. N’est pas au centre de la tablée avec son époux mais à l’extrémité, trônant, Hans mis de côté. 

  • Donc préfiguration de dessein maléfique imaginé par Hercule et Cléopâtre.

  • L’alcool comme leitmotiv (parallèle alcoolisme de Browning et époque de prohibition) : présence sur majorité des plans => marque de festivité mais aussi trahir les comportements.

  • Plan 2 : plan rapproché poitrinesur Hercule et Cléo => cadrer les deux amants cupides => complices et complicité bientôt mise à mal par l’ivresse. 

  • Main de Cléo sur coupe d’alcool => preuve directe de leur complicité et de leur culpabilité.

  • Idée renforcée par ses paroles, souvent liées à l’alcool : envers Hans => « Allons mon trésor, buvons. »

  • Plan 7 : plan de demi-ensemble => bouteilles et verres = alcool en cascade.

 

  • Alcool + poison = armes du crime : procurer un semblant de complicité en le resservant plusieurs fois.

  • Mais regard de dégoût trahissant son intention au plan 2 => raccord gesteavec le plan 3 : verser du poison dans un crû de 1914. 

  • Incompatibilité que l’action se passe en 1914 en raison des costumes : reprendre l’hypothèse d’Olivier R. Grim[1]: 

  • Hans + Frieda + Hercule = Allemands

  • Mme Tetrallini + M. Dubois = Français

  • Frères Rollo + Phroso + Vénus = Américains

  • Cléopâtre = Russe

  • Représentation de la Première guerre mondiale : affrontement sur piste de cirque (ordre et désordre).

  • « 1914, année empoisonnée pour le monde, au même titre que cette bouteille de champagne semble nous suggérer Tod Browning[2]. »

 

  • Conséquence de l’abus d’alcool : dévoiler le couple Hercule-Cléopâtre.

  • Plan 22 : Hercule et Cléo s’embrassant dans un léger travelling d’accompagnement bas-haut, entrecoupé par un plan fixede Hans se rendant compte de la situation puis un raccord regarden direction du duo mis à jour.

  • Mariage => leurre pour mieux tromper et dessein au bord d’être découvert.

 

[1]R. GRIM Olivier, Mythes, monstres et cinéma, Grenoble, Presses universitaire de Grenoble, 2008, pages 46-47.

[2]Ibidem.

C. Un mariage sous le signe d'une parade polysémique.

  • Panneau« The Wedding Feast » avec fondu enchaîné : vestige du cinéma muet d’où sort Hollywood (Dracula, premier film d’épouvante parlant).

  • Formulation d’une ellipse : ne pas assister à la cérémonie du mariage ni aux règles matrimoniales communes.

  • Donc insister implicitement sur les règles étrangères du milieu du cirque = préfiguration du conflit réglé à la manière des freaks rassemblés et toujours unis à la fin.

  • Pas le code habituel régissant les hommes : (bonimenteur au début : « Ils ont leur code, leurs lois. ».

 

 Séquence précédant The Wedding Feast : mariage voué à être une parade. 

  • Titre du film en Français : Freaks ou La Monstrueuse parade =>

  • Parade : rassemblement et mise en scène des monstres ?

  • Parade : stratégie et comportements diaboliques des humains dits normaux => Cléo et Hercule ?

  • Donc introduction de la question sur la monstruosité physique ou la monstruosité morale. 

  

  • Idée de mariage comme parade amplifiée par la comparaison entre le premier plan de la séquence et le dernier : plans d’ensemble identiques.

  • Mariage : spectacle burlesque engageant tout d’abord la communauté des freaks avant de les désengager et de les expulser (répulsion). 

  • Dernier plan vide des autres freaks ayant fui par l’entrée des spectateurs.

  • Seuls sur scène : Hercule, Cléopâtre portant Hans sur ses épaules.

  • Hercule et Cléopâtre initiant le désordre (alors que cette thématique est plus souvent attribuée aux monstres) => musique diégétique dissonante en opposition à la musique diégétique festive du début. 

  • Ainsi : Hercule et Cléo offrant en spectacle leur propre monstruosité morale => la cupidité et leur caractère humiliant.

Le mariage de Cléopâtre et d’Hans est sans conteste placé sous le signe du renversement des valeurs entre monstruosité physique et monstruosité morale. Cette dernière allant être le vecteur de l’horreur qui submerge la séquence entière et prédit la suite de l’histoire. Il ne s’agit donc plus d’un mariage conventionnel, mais bien d’une duperie allant revêtir des aspects effroyables et plaçant le film dans l’épouvante morale, parti pris du réalisateur. 

II. Le basculement dans l'horreur.

A. Des comportements excessifs : interrogation de la notion de norme.

  • Normalité assimilée aux êtres humains sans difformités.

  • Or ici : normalité plus propre aux freaks ne se comportant pas avec excès.

  • Monstruosité morale d’Hercule et Cléo transparaissant dans leurs comportements :

 

  • Hercule = jouisseur excessif et jamais repu => sorte de Gargantua[1].

  • Se ressert plusieurs fois du vin, champagne : plans 2, 16, 31…

  • Plans 16 et 31 : et juste défini par ses mains versant de l’alcool et tenant son verre. Ainsi réduire le personnage à son action la plus courante. 

  • Rires lourds parcourant la scène et plus forts que la musique (plan 49).

 

  • Cléopâtre aussi caractérisée par ses rires incessants et cyniques.

  • Plan 41 : basculement du rire => proximité avec Hercule dans un plan poitrine à hauteur de motif. 

  • Filmer le changement de l’expression de son visage : hilarité puis inquiétude à l’entente de « Tu vas être une des leurs, mon oiseau de paradis ! »

  • Cléo : colère excessive.

  • Alternance de plans sur les freaks et sur Cléo=> impression de traversée sa pensée et de comprendre qu’elle fait partie de leur communauté.

  • Aussi alternance de plans sur Cléo = évolution de sa colère et de son mépris.

  • Plan poitrine à hauteur de motif.

  • Panoramique bas-haut. 

  • Plan buste.

  • Zoom arrière nous dévoilant ce qu’elle voit.

  • Plan américain sur Cléo ou plan de demi-ensemble sur la scène.

 

  • Ainsi filmer la colère montante puis le dégoût que les freakssont à ses yeux : apogée plan bustequand elle tient la coupe de la fraternité.

  • Expression de son mépris général : « Vous !… Sales monstres ! Monstres ! Monstres ! » puis « Vermines ! Moi, une des vôtres ! »

  • Humiliation des freaks cadrée en panoramique droite-gauchesuivi d’un plan de demi-ensemblepour souligner le comportement surpris des freaks.

 

[1]TOMASOVIC Dick, op. cit., pages 81-82.

B. Humiliation et infantilisation subies par Hans.

  • Humiliation et infantilisation permanente et croissante envers Hans.

 

  • Infantilisation : « une stratégie manifeste d’évitement des rapports sexuels[1]. » 

  • Donc autre aspect marquant qu’il s’agit d’un faux mariage => pas consommation.

  • Ironie de la part de Cléo sur la nuit de noces : « Notre nuit de noces. Passionnant ! » 

  • Passer outre les désirs sexuels de Hans réduit à un état d’enfant par sa petite taille. 

  • Supériorité de Cléo affirmée dans le champ contre champ du plan 18 : Hans filmé à hauteur de motifen train de parler à Cléo et réponse de celle-ci, en plongée(ou Hans placé en contre-plongée). Présence corporelle de chacun des deux mariés instaurant un rapport de force en faveur de Cléo.

 

  • Hans toujours réduit à son aspect physique d’enfant au travers des paroles pseudo-hypocoristiques de son épouse :

  • « mon petit Hans »

  • « Mon petit monstre aux yeux verts ! »

  • Double humiliation de Hans :

  • Lorsque Cléo et Hercule s’embrassent.

  • Lorsqu’ils chassent les autres freaks en les insultants.

  • Donc honte suscitée chez Hans : regard baissé face à sa femme (domination dans un traitement plongée/contre-plongéedu plan 58) puis se cache les yeux dans les plans 60 et 61.

  • Humiliation avec des paroles et une posture blessante (elle se met à sa hauteur) :

  • « Tu es un homme ou un bébé ? »

  • « Tu veux quoi ? Que maman joue avec toi ? Au petit cheval peut-être ? »

  • Ici : infantilisation sur fond d’inceste : traiter son époux comme un enfant, de la taille d’un enfant et avec les caractéristiques d’un enfant.

  • Problème de cadre chez Cléo : volonté que son époux réagisse face à l’humiliation qu’elle aurait subie => « Qu’est-ce que tu attends ? »

  • Or : semble prise au piège par son statut d’épouse => qu’elle boive ou non, elle est mariée à Hans, un freak.

  • Cirque : huis-clos => prise au piège dans propre plan machiavélique.

 

[1]TOMASOVIC Dick, op. cit., page 79.

C. Une séquence préfigurant le destin de Cléopatre. 

  • Plan 1 d’ensemble : Cléo placée devant la sortie de piste.

  • Donc : préfigurer sa potentielle sortie de piste => expulsion de sa plastique parfaite et de l’admiration qu’elle suscite pour passer au rang de freakà son tour et susciter le dégoût.

 

  • Découpage du corps de Cléo signifié le cadrage de la table mutilant visuellement son corps.

  • Ainsi prémices de sa future absence de jambes lorsqu’elle sera transformée en poule. 

 

 

« Lors de ses noces, le corps de Cléopâtre est divisé en deux régions délimitées par la hauteur de la table, qui sert aussi de scène de théâtre. »

 

« Charles Tesson le remarque bien, le haut de son corps (le tronc, le visage) est cette partie que les freaks voient d’elle, et le bas (les hanches, les jambes), cette autre partie qu’ils ne voient pas. Ivre, Cléo ne parvient à se lever que pour « jouer au petit cheval », avec Hans perché sur ses épaules. Plus tard, les freaks sauront se souvenir de cette vision bloquée, du corps partiel que leur donnait à voir Cléo lors des noces avant de se moquer d’eux, alors qu’ils chantaient tous en chœur leur hymne d’acceptation (« One of us »). Dans un acte de formatage d’une violence inouïe dédié aux lois du divertissement, ils conforment ce corps à la perception restreinte qu’ils en avaient lorsqu’elle semblait partager leur scène. Ils lui couperont ses jambes et transformeront celle que l’on surnommait « Peacock of the air » en oiseau spectaculaire. La mutilation de Cléopâtre étant le fruit d’une vision tronquée, le film de Browning, pour Tesson, sécrète l’angoisse d’un monde où le cadre mutilerait les corps, où ce qui de notre corps se soustrait à la vision de l’autre ferait de nous des monstres [1]. »

 

 

  • Plan 8 : plan moyensur Koo Koo, femme poule dansant => avertissement concernant Cléo.

  • En effet : Cléo passant au début du film du statut d’oiseau des airs (plan en contre-plongée) à celui de poule monstrueuse à la fin (plan en plongée).

  • Chanson de ralliement et d’acceptation « One of us » pouvant être interprétée comme « Un pour tous »[2].

  • Souligner la très forte cohésion des freaksjusque dans leur acte final.

  • Echo à la phrase du bonimenteur en début de film : « Offenser l’un d’eux, c’est les offenser tous. »

  • Donc « One of us » => sentence à retenir (Cléo paie le prix fort).

  • Présence importante des couteaux rythmant The Wedding Feast.

  • Plan d’ensemble 1 : nain orchestrant avec un couteau.

  • Panorama (cf. I. A.) des différents freakset de leurs caractéristiques : battre le tempo de « One of us » avec des couteaux.

  • Hercule et Cléopâtre paraissant désarmés => projection de la menace des freakslors de la dernière séquence.

 

[1]TOMASOVIC Dick, op. cit., page 78.

[2]TOMASOVIC Dick, op. cit., page 90.

CONCLUSION

En somme, Tod Browning joue particulièrement avec le franchissement de la frontière entre le vrai, la vérité et le faux, l’illusion. En effet, Freaks qui «est une extraordinaire entreprise de brouillage de la frontière entre ‘normal’ et ‘anormal’[1]. » met en scène de véritables phénomènes de foire face à des acteurs dits normaux. En plus de cette qualité, il travaille sur la question de la vraie monstruosité : est-ce celle physique ou celle morale ? L’issue du film ne permet pas de donner d’explications imparables : soit nous voyons les monstres tels qu’ils sont, dans leurs difformités et leur code sanglant, soit nous percevons les réels monstres comme ceux infligeant un traitement méprisant et sévère. 

C’est pourquoi la séquence The Wedding Feast est absolument charnière. Elle pose les bases de l’illusion du mariage comme spectacle dans le spectacle, un élément enclavé. Puis elle dévoile les véritables desseins du couple maléfique. Les freaksapparaissant ici comme victimes de la cupidité et de l’orgueil, auxquels ils semblent échapper par leur bonhommie selon le point de vue de Tod Browning. 

Dans le contexte des années 1930, fortement marqué par la crise de 1929, l’usage de véritables monstres peut être considéré comme un « marqueur de synecdote évoquant le corps social malade[2] » mais également, ici (le film ayant été réalisé en 1932), les prémices de nationalisme montant et des illusions allant servir à bâtir l’Allemagne nazie, entre autres, qui érigera certaines catégories de population comme monstres, avant d’être-elle réduite à ce rang. 

 

Freaks a longtemps été un film censuré, comme en Angleterre jusqu’en 1963[3]. À la même époque, il est réhabilité en France par sa promotion au Festival de Cannes dans le cadre d’une rétrospective sur le début du cinéma[4], bien que les artistes surréalistes lui aient dédié un véritable culte[5].

De cette manière, sorti du rang de film médical[6], il fait figure d’inspiration géniale pour d’autres productions cinématographiques comme Elephant Man de David Lynch sorti en 1980, reprenant une structure similaire et son exhibitionnisme.

Notons enfin le travail de l’artiste Inez Van Lamsweerde dans sa série « Me », qui, au détour du cliché Me#5 en 1998 met en scène la gémellité. Sa composition s’articule autour de deux petites filles unies par un drapé noir les recouvrant et suggérant leur jonction siamoise[7].

Ainsi, la question de la monstruosité, plus largement assimilée à celle du fantastique et du rêve traverse n’importe quel type de support artistique et nous amène à renouveler sans cesse la thématique de la normalité (physique, mentale, morale…).

 

[1]MARIE Michel, « LA MONSTRUEUSE PARADE, film de Tod Browning ». In Universalis éducation [en ligne]. Encyclopædia Universalis, consulté le 1 décembre 2016. Disponible sur http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/la-monstrueuse-parade/.

[2]TOMASOVIC Dick, op. cit., page 24.

[3]MARIE Michel, op. cit.

[4]R. GRIM Olivier, Mythes, monstres et cinéma, Grenoble, Presses universitaire de Grenoble, 2008, pages 131-132.

[5]MARIE Michel, op. cit.

[6]TOMASOVIC Dick, op. cit., page 28.

[7]BAQUÉ Dominique, Mauvais Genre(s) : Érotisme, pornographie, art contemporain, Paris, Éditions du Regard, 2002, page 68-69.

Elephant Man de David Lynch sorti en 1980.

Inez Van Lamsweerde, Me#5, série« Me »,1998.

SOURCES

Livres

 

BAQUÉ Dominique, Mauvais Genre(s) : Érotisme, pornographie, art contemporain, Paris, Éditions du Regard, 2002.

 

TOMASOVIC Dick, Freaks. La Monstrueuse Parade de Tod Browning. De l’exhibition à la monstration. Du cinéma comme théâtre du corps, Liège, Éditions du Céfal, 2005.

 

R. GRIM Olivier, Mythes, monstres et cinéma, Grenoble, Presses universitaire de Grenoble, 2008.

 

 

Sites internet

 

MARIE Michel, « LA MONSTRUEUSE PARADE, film de Tod Browning ». In Universalis éducation [en ligne]. Encyclopædia Universalis, consulté le 1 décembre 2016. Disponible sur http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/la-monstrueuse-parade/.

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