top of page

Certaines illustrations tirées de l'ouvrage Happening de Jean-Jacques Lebel ou l’insoumission radicale

(LEBEL Jean-Jacques et de MICHAËL Androula, Paris, Hazan, 2009) sont susceptibles de heurter les sensibilités.

Jean-Jacques LEBEL (1936-), 

120 minutes dédiées au Divin Marquis,

IIIe Festival de la Libre Expression, théâtre de La Chimère, 42 rue Fontaine, Paris, 1966, happening.

INTRODUCTION

 

 

I. QUAND LA CONTESTATION MÊLE L’EROTISME A LA POLITIQUE.

A. Sade : un « emblème de pensée subversive[1] » prône dans les années 1960.

B. Un passage obligé par la sexualité chez Lebel qui renverse la bienséance.

C. L’imprevu comme trame : un reflet sociétal.

II. LE COUP DE THEATRE DU HAPPENING : LA LIBÉRATION DU REGARDEUR.

A. Un hommage se servant des codes du théâtre pour mieux les ébranler.

B. Le passage du « regardeur » au « viveur[2] » dans l’expérience collective.

C. Le corps : entre body art, apologie des sens et invention d’un nouveau langage.

 

 

III. AUTOUR DE LA RÉCEPTION CONTROVERSÉÉ DE L’ŒUVRE : HÉRITAGE ET DÉPASSEMENT.

A. Les 120 minutes dediées au Divin Marquis : stimulation des élites, de la presse et du pouvoir.

B. La postérite du Marquis de Sade dans l’œuvre de Jean-Jacques Lebel.

C. Entre subversion et polémique : l’emploi du corps et de la contestation chez d’autres artistes.

 

 

CONCLUSION

SOURCES

ILLUSTRATIONS

 

[1]LEBEL Jean-Jacques et MICHAËL Androula, Happening de Jean-Jacques Lebel ou l’insoumission radicale, Paris, Hazan, 2009, p. 177.

[2]BERTRAND DORLÉAC Laurence, L’ordre sauvage. Violence, dépense et sacré dans l’art des années 1950-1960, Paris, Éditions Gallimard, 2004, p. 274.

« Le happening n’est pas une cérémonie invariable – plutôt un état d’esprit, un acte de clairvoyance, un poème en action au travers duquel chacun ajoute un mouvement ou une paralysie, une pulsion exprimée ou réprimée, un sentiment de réjouissance ou de désespoir[1] » explique Jean-Jacques Lebel à propos de l’essence même de cette pratique qui consiste à « faire quelque chose ensemble, de le faire collectivement, anonymement, et de façon éphémère[2]. » Quoi de mieux que la conception de cet artiste né en 1936 et qui fut un des protagonistes français les plus prolifiques en matière de happenings pour comprendre que cette pratique invitait, à la fin des années 1950 et durant toutes les années 1960, quiconque souhaitait extérioriser au contact de la sphère artistique les frontières de la conscience au sein d’une manifestation brisant les codes de la société et s’inscrivant en marge.

Car Jean-Jacques Lebel connaît bien l’univers des transgressions artistiques et du scandale. Fréquentant dès son enfance Billie Holiday (on prête d’ailleurs l’apparition du terme « happening » au monde du jazz), et les chefs de files Marcel Duchamp ou André Breton[3], puis plus tard les poètes Beat (auxquels il fera découvrir Pour en finir avec le jugement de dieu d’Antonin Artaud, prémices de la question active du corps dans le travail ici poétique, par la suite artistique[4]), il va développer un goût pour le non-conformisme et la critique acerbe de l’environnement politique et géopolitique, des mœurs oppressantes, du marché lucratif de l’art. C’est par le biais de son premier happening L’Enterrement de la Chose de Tinguely – le premier en Europe en 1960 d’après Allan Kaprow – et faisant écho à l’exposition itinérante Anti-procèsde la même année co-organisée avec Alain Jouffroy, que Jean-Jacques Lebel dénonce encore une fois (ayons en mémoire Le Grand Tableau antifasciste collectif qui se réfère, entre autres, au viol de Djamila par des parachutistes français) le système colonial en Algérie et la torture, le nationalisme, la violence et l’industrialisation (une lecture de Sade y est également faite). 

 

[1]R. SANDFORD Mariellen, Happenings and Other Acts, Londres, Routledge, 1995, p. 279 (traduction en français à partir LEBEL Jean-Jacques, Le Happening, Paris, Denoël, 1966).

[2]SCHIRMAN Danielle,  L’art du mont(r)age de Jean-Jacques Lebel, vidéo réalisée à l’occasion de l’exposition « Soulèvements » à La Maison Rouge en 2009. URL : https://vimeo.com/91545282[consulté le 21 septembre 2016].

[3]STELLA Rachel, Jean-Jacques Lebel. Transferts, Paris, Louis Carré & Cie, 2016 (aussi disponible au format PDF édité en 2016 à l’adresse suivante : http://www.louiscarre.fr/expositions/jean-jacques-lebel-transferts[consulté le 21 septembre 2016]).

[4]DARRAGON Éric (dir.), La provocation, une dimension de l’art contemporain [XIX-XXe siècles], Paris, Publications de la Sorbonne, 2004, p. 317.

Jean-Jacques Lebel, L’Enterrement de la Chose, 14 juillet 1960, Palazzo Contarini-Corfu.

Ci-dessus : Les trois pleureuses : Mme Ameny, Mme Hennessy et Pilar Pellicer. 

Los Angeles, The Getty Research Institute, ResearchLibrairy, fonds Allan Kaprow.

Ci-dessous : Les participants montent dans les gondoles. Los Angeles, The Getty Research Institute, ResearchLibrairy, fonds Allan Kaprow.

Par l’écriture de textes théoriques sur le happening, Lebel défend l’idée d’un « phénomène intrinsèquement international[1] ». En effet, bien que le terme soit formulé par Allan Kaprow (un de ses amis à l’origine de la série 18 Happenings in 6 parts [2]en 1959) dans Art Newsen 1958 pour l’article « L’Héritage de Jackson Pollock »[3], il reconnaît un apport premièrement dada avec une prestation reprenant les grandes lignes lors de la Foire Dada de 1920 ou encore en 1921 à Paris lors du Procès de Maurice Barrès par les artistes de cette même mouvance[4]. Il avance ensuite – en prônant toujours l’influence dada – une certaine concomitance entre le premier happening américain effectué par John Cage au Black Mountain College en 1952 (mêlant récitation, musique, danse, peinture) et ceux du groupe japonais Gutaï dès 1955 réagissant aux tragédies ayant touché le Japon à la fin de la Seconde Guerre mondiale[5]. Sans pour autant adhérer aux thèses du groupe Fluxus réuni autour de la figure de Georges Maciunas à partir de 1960, nous pouvons repérer quelques éléments ayant influencé la pratique du happening chez Lebel comme l’importante présence du corps et de l’imprévisible[6]. 

Le Happening s’inscrit alors dans la continuité des modifications artistiques qui se sont opérées, aussi bien du point de vue du traitement corporel en passant par les Sculptures vivantes de Pierre Manzoni en 1958, que du point de vue du caractère destructeur de la société reflété par l’art (Jean Tinguely et son Hommage à New-York de 1960).

Jean-Jacques Lebel ne va avoir de cesse au fur et à mesure des années de revendiquer ses positions anarchistes et philosophiques (il participe au cours de Gilles Deleuze et s’intéresse aux thèses élaborées par Félix Guattari[7]) mais également d’exposer dans le monde entier en rappelant ses prises de positions favorites : en 2003-2005, Harald Falckenberg a l’idée de regrouper Öyvind Fahlström, Köpcke, Erró et Jean-Jacques Lebel ayant certaines affinités par des travaux collectifs précédents et s’étant tous illustrés au travers du happening pour l’exposition itinérante Phœnix 2003[8].

Cet artiste complet est par ailleurs l’initiateur du Festival de la Libre Expression dont la première démonstration a lieu en 1964. Or, c’est celle de 1966 qui va nous interpeller le plus au travers de l’analyse du happening 120 minutes dédiées au Divin Marquis du 4 avril au Théâtre de la Chimère, 42 rue Fontaine, lieu même où logeait André Breton, l’ayant exclu des Surréalistes, avec Alain Jouffroy : « pour cause d’anarchisme et d’inadaptation congénitale à toute espèce d’autorité[9] ». Deux ans après Déchirex qui condamnait en partie la société de consommation, ce douzième happening rassembla plus de quatre cent personnes. Un précédent hommage au Marquis Donatien Alphonse François de Sade avait été perpétré en 1959 par Jean Benoît et André Breton[10], ce qui suggère des figures dialogiques récurrentes chez les artistes. 

 

Par quels chemins subversifs Jean-Jacques Lebel s’attaque-t-il aux préceptes en vigueur dans les années 1960, régissant en partie le comportement du regardeur à l’œuvre, afin de projeter son propre idéal ?

Nous étudierons l’association érotico-politique contestataire chez Lebel, avant de nous intéresser au coup de théâtre du happening permettant la libération du regardeur. Enfin, nous porterons notre attention sur la réception controversée des 120 minutes dédiées au Divin Marquis, insérée dans une logique d’héritage et de dépassement.

 

[1]LEBEL Jean-Jacques et MICHAËL Androula, op. cit., 2009, p. 8.

[2]VANEL Hervé, « DÉVELOPPEMENT DU HAPPENING SELON ALLAN KAPROW- (repères chronologiques) ». In Universalis éducation [en ligne]. Encyclopædia Universalis, consulté le 21 septembre 2016. Disponible sur http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/developpement-du-happening-selon-allan-kaprow-reperes-chronologiques/.

[3]DONGUY Jacques, « KAPROWALLAN - (1927-2006) ». In Universalis éducation[en ligne]. Encyclopædia Universalis, consulté le 21 septembre 2016. Disponible sur http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/allan-kaprow/.

[4]LEBEL Jean-Jacques et MICHAËL Androula, op. cit. p. 7.

[5]PLUCHART François, « HAPPENING ». In Universalis éducation [en ligne]. Encyclopædia Universalis, consulté le 21 septembre 2016. Disponible sur http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/happening/.

[6]TRONCHE Anne, « BODY ART ». InUniversalis éducation[en ligne]. Encyclopædia Universalis, consulté le 21 septembre 2016. Disponible sur http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/body-art/.

[7]STELLA Rachel, op. cit.

[8]STELLA Rachel, op. cit.

[9]LEBEL Jean-Jacques et MICHAËL Androula, op. cit., p. 177.

[10]PUJAS Sophie, « La passion surréaliste », Le Point Hors-Série, n°16, octobre-novembre 2014, Paris, Le Point, pages 71-72.

I. Quand la contestation mêle l’érotisme à la politique.

« Lebel countered political obscenity with sexual obscenity[1]. »

 

La censure exercée par le gouvernement du Président de Gaulle, en 1966 plus particulièrement, est vécue comme un crime contre l’expression artistique sous prétexte que cette dernière outrage les mœurs et le bon fonctionnement de la société. Or cet outrage est d’autant plus grand et illégitime qu’il est commis par les pouvoirs en place eux-mêmes, empêchant la liberté d’expression. 

Il revient alors à Jean-Jacques Lebel dans son happening 120 minutes dédiées au Divin Marquis de brandir l’inconvenante réalité sous l’aspect blasphématoire du Marquis de Sade pour faire entendre ses revendications et enclencher des modifications.

 

[1]MAHON Alyce, Eroticism and art, New-York, Oxford University Press, 2005, p. 193.

A. Sade : un « emblème de la pensée subversive[1] » (in Lebel et Michaël, op. cit., p. 177) prôné dans les années 1960.

  • 1966 : réactions face au [1] :

  • Procès contre Jean-Jacques Pauvert, éditeur de Sade.

  • Long-métrage de Jacques Rivette, La Religieuse, adaptation de l’œuvre littéraire de Diderot. Censure d’Yvon Bourges (Ministre de l’Information) pour les légères scènes de lesbianisme et appui timide d’André Malraux. Film représentant la France au Festival de Cannes : paradoxe. 

  • « son happening devient donc à la fois un défi au pouvoir, aux conventions de la scène artistique et au dernier surréalisme exsangue[2] ».

 

[1]DARRAGON Éric (dir.), op. cit., p. 316.

[2]DARRAGON Éric (dir.), ibidem.

« In the 1960s, sex and eroticism were celebrated as manifestations of life, in opposition to war; and of pleasure, in opposition to a corrupt and puritanical value system[1]. »

  • Sade : « prémices d’un combat contre toute pensée préétablie[2] ».

  • Rejet de la société de consommation frustrante et aliénante (Cynthia se présentant avec un cabas de nourriture qu’elle renverse : elle se sodomise avec des poireaux et des carottes qu’elle jette ensuite au public qui en redemandent). 

  • Héritage lourd : guerres mondiales, génocides, atrocités des régimes coloniaux (épisode Les mamelles de la transe : « Figure du délire nationaliste, elle évoque les « deux mamelles de la transe » (bourrage et raturage)[3] » : femme se moquant du Président Charles de Gaulle en revêtant son masque après avoir été enduite de crème fouettée, léchée jusqu’au cunnilingus).

 

[1]MAHON Alyce, op. cit., p. 199.

[2]BERTRAND DORLÉAC Laurence, op.cit., p. 265.

[3]LEBEL Jean-Jacques et MICHAËL Androula, op. cit., p. 182.

Les mamelles de la transe
Denise de Casabianca
Strip-tease de Cynthia
  • Etablissement contexte parallèle entre le Marquis de Sade et celui de Jean-Jacques Lebel : légère liberté sombrant dans la censure et couperet de la prison planant[1]

  • 1731 : Abbé Prévost, Manon Lescaut (récit d’une prostituée).

  • 1741 : Gervaise de Latouche, Histoire de Dom Bougre, portier des Chartreux.

  • 1748 : Denis Diderot, Les Bijoux indiscrets.

  • 1782 : Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses.

  • 1783 : Mirabeau, Erotika Biblion

  • Parallélisme présent aussi dans leur caractère : anticléricaux (strip-tease de Cynthia et de Denise de Casabianca, femme de Lebel à l’époque, en religieuses), anarchistes, révoltés contre les institutions et la pudibonderie excessive. 

 

[1]GOLLIAU Catherine, « Repère. Un siècle faussement libre », Le Point Hors-Série, n°16, octobre-novembre 2014, Paris, Le Point, pages 12-13.

B. Un passage obligé par la sexualité chez Lebel qui renverse la bienséance.

La fessée Marseillaise (Lebel et Bob Benamou).

  • Outre Les mamelles de la transe : 

  • Pénétration du public sur scène par l’arrière de la salle : « référence directe à l’univers sadien[1] ».

  • La fessée Marseillaise pratiquée par Jean-Jacques Lebel et Bob Benamou : dans la suite des Mamelles de la transe. Ridiculiser le régime en place par un acte soit destiné à la punition jadis infantile, soit pratiques sadiennes au travers desquelles le régime prend du plaisir à bafouer et contraindre par un excès d’autorité[2]. 

  • Comparaison avec le happening Pour conjurer l’esprit de catastrophe (lui-aussi en deux versions), 1962 et 1963 : masques de De Gaulle et prestation à l’aide d’un phallus d’une part ; masques de Khrouchtchev et de Kennedy d’autre part. 

  • Choc : évanouissement de Lucien Goldmann (philosophe) lorsqu’il s’aperçoit que Cynthia est une transgenre[3].

    • Question du travestissement (induite à celle de la transsexualité) : 1972, Michel Journiac, Piège pour un travesti[4]. Poursuite des réflexions de Jean-Jacques Lebel sur le corps en tant que vecteur de sensations inhibées. Aussi, volonté d’énoncer la bipolarité de l’être humain ne s’astreignant pas à un seul genre, un seul sexe. 

  • Bienséance au théâtre : ne pas montrer. 

  • Or ici, dévoiler sans honte : volonté pour Cynthia « de faire sur scène ce qu’il ne pouvait pas faire dans la vie sociale courante[5] », c’est-à-dire « [être] à la fois un homme et une femme et plus seulement l’un ou l’autre[6] ».

  • En effet : Cynthia interdite par son patron de cabaret de montrer son pénis. 

  • Lebel : balayer les jugements sur les minorités sexuelles établis par les Surréalistes, surtout Breton[7].

  • S’approprier la pensée de Sade, tout en lui insufflant et imposant une sublimation masochienne : 

  • Changement de logique décisive : abolir une société patriarcale au profit de la figure matriarcale qui n’opprime ni n’institue ; qui s’inscrit « du côté du fantasme et de la rêverie30 » et de « l’idéalisation sentimentale »[8]. Donc projection à la fois Dada et Surréaliste car inspiration à l’onirisme. 

  • Aussi abolition de la société patriarcale n’ayant su répondre aux attentes du peuple par sa violence illégitime.

  • Masochisme de Cynthia : opérations de la poitrine lui permettant d’affirmer une partie de ses désirs et de son identité au travers de la douleur. 

  • « Ce combat pose à nouveau comme inacceptables les limitations imposées par l’industrie culturelle, d’autant plus qu’il se cristallise autour de thèmes politiques ou sexuels, tabous entre tous[9]. » : réactions de Lebel souhaitant briser ces tabous dans ce happening.  

 

« Lebel’s Happenings might be viewed as deploying a sexual ‘terrorism’, taking the improvisation of Kaprow and radically accentuating its sexual and political dimensions[10]. » : 

  • Atteinte de la société dans ses fondements à l’aide d’idées se traduisant en actes violents ou choquants pour ceux qui approuvent le conditionnement politique et moral.  

  • Insécurité des valeurs alors en vigueur : mise à mal par des rassemblements artistiques libertaires, donc le happening non régi par l’ordre.

  • Manifester au gouvernement des requêtes en passant par l’érotisme dans l’optique d’opérer un changement durable. 

  • Années 1960 : « Kusama’s performances were part of the startling phenomenon of the ‘Happening’, a new form of improvisational and provocative performance art which explored issues of sexuality and gender, the erotic body, and politics[11].» Même politique que Jean-Jacques Lebel. Organisation de festivals. 14th Street Happening, 1966 (premier happening). 1968, devant le New-York Stock Exchange à Wall Street : happening Anatomic explosion on Wall Street. Contre la guerre du Vietnam. Danseurs professionnels sur Le Sacre du Printempsde Stravinsky. Intervention de la police

 

[1]LEBEL Jean-Jacques et MICHAËL Androula, op. cit., p. 179.

[2]LEBEL Jean-Jacques et MICHAËL Androula, op. cit., p. 182.

[3]LEBEL Jean-Jacques et MICHAËL Androula, op. cit., p. 182-183.

[4]TRONCHE Anne, ibidem.

[5]DARRAGON Éric (dir.), op. cit., p. 319.

[6]DARRAGON Éric (dir.), ibidem.

[7]DARRAGON Éric (dir.), op. cit., p. 320.

[8]DARRAGON Éric (dir.), op. cit., p. 321.

[9]LEBEL Jean-Jacques, Le Happening, op. cit., p. 15.

[10]MAHON Alyce, op. cit., p. 193-194.

[11]MAHON Alyce, op. cit., p. 192.

C. L’imprévu comme trame : un reflet sociétal.

  • Jean-Jacques Lebel : former ses happenings sur l’aléatoire, le hasard. 

  • Infime scénario en amont, modifiable à tout moment. 

  • Appropriation totale des Cent-Vingt Journées de Sodome : correspondance 1 minute = 1 journée[1], le tout au travers du récit de la « Neuvième journée », celle-ci largement axée sur la scatophilie (Lebel vêtu pendant un instant d’une « chasuble de prêtre tachée d’excréments[2] »).

  • Or bouleversement complet du récit initial en voulant représenter divers événements en même temps sur chronologie.

  • De cette idée de logique bouleversée : contrebalancer la rigueur et l’institutionnalisme des récits de Sade par l’intrusion de l’imprévu grâce au masochisme.

  • Dépassement de la figure sadienne.

  • Masochisme : « [exalte] un moi incontrôlé et l’intrusion du hasard[3] » comme le malaise de Lucien Goldmann, les pratiques sexuelles variées impromptues (cunnilingus de la femme des Mamelles de la transe et fellation de Cynthia par Frédéric Pardo), les extraits lus par Shirley Goldfarb…

 

  • « C’est qu’alors, le sexe est plus que jamais le lieu du saut où se retournent les passions : le pouvoir, l’État, la loi et la puissance[4]. » : prémices de Mai 68 où tout bascule. 

 

[1]LEBEL Jean-Jacques et MICHAËL Androula, op. cit., p. 178.

[2]LEBEL Jean-Jacques et MICHAËL Androula, op. cit., p. 182.

[3]DARRAGON Éric (dir.), op. cit., p. 322.

[4]DARRAGON Éric (dir.), op. cit., p. 325.

II. Le coup de théâtre du happening : la libération du regardeur.

« […] la réintégration de l’art à la vie, la fusion du psychique et du social[1]. »

 

 

Le théâtre, dans sa mise en scène et son interprétation par des acteurs, représente la vie. Or, cette vie est mimée, parodiée et institue une distance à peine franchissable entre celui qui joue et celui qui regarde. Les 120 minutes dédiées au Divin Marquisse déroulant au Théâtre de la Chimère s’investissent de la fonction d’outre passer les frontières et de généraliser à toute création artistique l’implication corporelle et sensuelle d’un regardeur dès à présent démiurge. 

C’est alors un langage nouveau et collectif, enfouissant les règles arbitraires du théâtre, qui émerge et s’invente au travers de l’exploration de l’âme.  

 

[1]LEBEL Jean-Jacques et MICHAËL Androula, op. cit., p. 260 (d’après LEBEL Jean-Jacques, Lettre ouverte au regardeur, Paris, Éditions de la Librairie anglaise, 1966).

A. Un hommage se servant des codes du théâtre pour mieux les ébranler.

  • 1957, Hermann Nitsch, Otto Muehl et Günter Brus, Théâtre des orgies et des mystères : traitement des tabous et des mythes fondateurs entre autres, par le prisme de la mise en scène d’un « art total[1] » dont le happening est une des manifestations. 

 

  • Les Cent-Vingt Journées de Sodome : imprégnation du langage théâtral. Sade désirant être dramaturge à la base. Hommage fort en montant son œuvre la plus illustre pour ce happening. 

  • Quatre parties = quatre actes.

  • Cent-vingt journées = cent-vingt scènes. 

  • Partie introductive décrivant les personnages et leurs gestes = sorte de didascalies. 

  • Analogie entre la scène/les coulisses et l’espace public/privé : société où les mœurs prohibent l’expression de ses désirs et de ses pulsions, soit sadiques, soit masochistes. 

  • Ici : tout est permis dans un chaos libertaire et érotique.  

 

  • « transgression d’un théâtre bloqué[2] » : comparaison supplémentaire avec la société dont Lebel dégage les limites, en entraînant la « participation du public qui se met à ‘jouer’ en transgressant les règles de la vie sociale[3]. » (Jean Duvignaud)

  • Idée de performance : « l’action selon Artaud allait pouvoir se déployer aux quatre coins de la salle, aux quatre coins cardinaux[4] » => briser les codes traditionnels du théâtre. 

 

  • En effet, ce happening ayant une forte concordance avec le monde du théâtre : « le lieu, le tempo et les modalités[5]. »

  • Lieu : rapport à André Breton ; rapport à la scène, telle la scène nationale ou internationale où se déroule l’histoire et s’appliquent les répressions.

  • Le tempo : renverser l’ordre privilégié par Sade et le remplacer par un agglomérat d’épisodes disparates. Supprimer une quelconque chronologie aberrante au profit de l’expression désinhibée des protagonistes.  

 

« Le happening, contrairement aux schémas de type théâtral, permet la concomitance synchrone ou diachrone de plusieurs événements dans une sorte spatial et temporel[6]. »

  • Modalités : basculer le regardeur vers celui qui conduit l’action. S’émanciper des normes et des absolus moraux.

 

  • Ainsi, déclaration de Lebel : « Je ne fais pas du théâtre, je tente des expériences sensorielles[7]. »

 

[1]TRONCHE Anne, op. cit.

[2]BERTRAND DORLÉAC Laurence, op. cit., p. 14.

[3]BERTRAND DORLÉAC Laurence, op. cit., p. 274.

[4]CHARLES Daniel, « PERFORMANCE, art ». In Universalis éducation [en ligne]. Encyclopædia Universalis, consulté le 21 septembre 2016. Disponible sur http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/performance-art/

[5]DARRAGON Éric (dir.), op. cit., p. 322.

[6]LEBEL Jean-Jacques et MICHAËL Androula, op. cit., p. 180.

[7]LEBEL Jean-Jacques et MICHAËL Androula, op. cit., p. 262 (d’après LEBEL Jean-Jacques, Parler du happening, publié dans Cité Panorama, n°10, décembre 1966, Villeurbanne).

B. Le passage du « regardeur » au « viveur [1] » dans l’expérience collective

 

[1]BERTRAND DORLÉAC Laurence, op. cit., p. 274.

  • Rupture avec l’immobilité du regardeur : « le jeu dialectique immédiat de trois éléments permutables à volonté : le (ou les) ‘auteur(s)’, les ‘exécutants’, le ‘public’[1]. »

  • Passage de la scopophilie (a priori présente sur le cliché traité) à l’avènement du rôle actif des regardeurs.

 

  • Influence des recherches antipsychiatriques de Ronald David Laing : « ‘l’élargissement de la conscience’ par la recherche d’une ‘métanoïa’ […], plongée physique et recherche d’une psychose expérimentale[2] » : processus activé chez le regardeur pour le convier à abandonner son état conditionné et à agir au sein d’un groupe qui veut se libérer. 

« Nous [Kaprow et Lebel] avons proposé des mises en œuvre ludiques, collectives par définition, des expériences sensorielles visant à modifier et à intensifier les systèmes de perception, voilà tout[3]. »

  • Perception du regardeur mise à mal au début du happening : flashs donnant la brève impression d’être sous l’emprise de LSD[4], drogue largement présente lors de la manifestation (corps de Cynthia entièrement recouvert ; consommation par les artistes).

 

[1]LEBEL Jean-Jacques et MICHAËL Androula, op. cit., p. 258 (Lettre ouverte au regardeur).

[2]DARRAGON Éric (dir.), op. cit., p. 319.

[3]LEBEL Jean-Jacques et MICHAËL Androula, op. cit., p. 17.

[4]LEBEL Jean-Jacques et MICHAËL Androula, op. cit., p. 180.

Photographie d'Horace

Pipi d'artiste

  • Insistance de Lebel à ce que ses participants ne soient pas des « voyeurs » : « Ce que l’on demande au regardeur, en somme, c’est de participer à l’insurrection de l’art et de cesser d’être un voyeur, un témoin passif, un consommateur résigné[1]. » : épisode du Pipi d’artiste. Femme urinant sur public et Artiste Bill Copley urinant dans un système redistribuant ce liquide au public. Référence au « rite du peyotl » énoncé par Antonin Artaud. Rite magique et hallucinatoire. 

  • Absorption de matières hallucinogènes supposées aider le regardeur à devenir viveur, à se détacher de sa conception habituelle du spectacle.

  • Transiter les protagonistes vers une plus grande liberté : surmonter les inhibitions dans le cadre de la création. 

  • Assimilation de ce happening à une sorte de danse fantastique : « Le happening c’est comme le vaudou, la recherche d’une transe collective[2]. »

 

[1]LEBEL Jean-Jacques et MICHAËL Androula, op. cit., p. 261 (Lettre ouverte au regardeur).

[2]LEBEL Jean-Jacques et MICHAËL Androula, op. cit., p. 291 (à partir de : Alain François, « Entretien. Une nouvelle forme de spectacle », Pariscope, n°18, 9 février 1966, p.32).

  • Gina Pane : pousser à bout le regardeur en poussant à l’extrême le body art. Se coupe le corps, dans une recherche soit psychique (Action Psyché, 1974 : dépassement de la vision habituelle), soit contestatrice (Autoportrait(s), 1973 : cause féministe).

  • Chez elle, « corps ‘transindividuel’ » : atteindre « l’équilibre entre l’individuel et le collectif. »[1]

 

[1]TRONCHE Anne, ibidem.

Gina Pane, Action Psyché, 1974.

  • Syncrétisme de la figure du lecteur (Sade) et du regardeur (Lebel) : autant chez l’un que chez l’autre, tous deux sont éprouvés par ce qu’ils lisent ou voient et participent. 

 

  • « Donc le happening établit une relation de sujet à sujet. On n’est plus (exclusivement) regardeur, mais regardé, considéré, scruté. Il n’y a plus monologue, mais dialogue, échange et circulation des images[1] » : primauté du collectif qui s’entremêle pour aboutir à des actions imprévues.

 

[1]LEBEL Jean-Jacques, Le Happening, op. cit., p. 55.

C. Le corps : entre body art, apologie des sens et invention d’un nouveau langage.

Jean-Jacques LEBEL

  • Jean-Jacques Lebel prône la poésie dans ces happenings, dont celui-ci. 

  • Poésie passant par le langage muet du corps.

  • Prestations relevant du body art en ce qui concerne les « artistes qui travaillent ou ont travaillé avec le langage du corps afin de mieux interroger les déterminismes collectifs, le poids des rituels sociaux ou encore les codes d'une morale familiale et religieuse[1] » : complexité largement étudiée et abordée par 120 minutes dédiées au Divin Marquis (contexte 1966). 

« Politique, théorique, ludique, sexuel, parfois conceptuel, le corps des années 1960 et 1970 évoquait l'utopie du changement, la résistance à toutes formes d'oppression, le mystère de la pensée qui émet des signes[2]. »

  • Politique : La fessée Marseillaise ou le masque de Charles de Gaulle.

  • Théorique : corps étant vecteur des sens. 

  • Ludique : récitation de Shirley Goldfard

  • Sexuel : Cynthia puis son cortège sur un lit mécanique

  • Conceptuel : corps étant le siège infini d’expériences diverses. 

  • Parfois corps mis à mal, mais toujours dans une forme contestataire : morceaux de viande accueillant dans l’obscurité le public[3]. Analogie avec notre propre enveloppe corporelle se heurtant à celle des autres, et également meurtrie au contact de la société. 

 

[1]TRONCHE Anne, « BODY ART ». In Universalis éducation[en ligne]. Encyclopædia Universalis, consulté le 21 septembre 2016. Disponible sur http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/body-art/.

[2]TRONCHE Anne, ibidem.

[3]LEBEL Jean-Jacques et MICHAËL Androula, op. cit., p. 179.

  • 1964, Carolee Schneemann et Daniel Pommereuelle, Meat Joy : happening lors de la première édition du Festival de Libre Expression. 

  • Jeux avec des morceaux de viande. Importance du corps réagissant à sa société dans un « erotic chaos[1] ».

 

Lebel : « Je veux, dit-il au regardeur, que cette danse sacrée ne s’adresse pas seulement à vos yeux, mais à TOUS VOS SENS. À votre ouïe, à votre odorat, à votre palais, à votre vagin, à votre gland, à votre anus, à votre corps astral, à votre émetteur/récepteur de vibrations, à votre fluidité, à vos doubles. Il est révolu le temps où l’œuvre d’art s’adressait à votre simple raison, à votre seul bon sens[2]. »

  • Absolue inhérence de l’appréhension et de la perception du monde extérieur – et de ce fait de l’œuvre d’art traditionnelle – par les sens. 

  • Donc prôner l’irraison au profit d’une ouverture du corps totale et pérenne.  

  • Le happening en lui-même convoque tous les sens (l’ouïe avec la lecture d’extraits, goût de la crème fouettée et autres, le toucher par la promiscuité et les actes sadiens, l’observation de l’effervescence artistique et enfin l’odeur des déjections humaines en tout genre). 

 

« expériences psychiques d’une intensité volcanique, quelquefois sublime, quelquefois terrifiante, qui font sauter le langage[3]. » 

  • Qualification de « supra-langue[4] » : par des protestations, des actions et pulsions, des personnalités et des parcours divers… bref, un agencement hétéroclite permettant de dépasser les clivages de la culture classique et d’un langage trop coercitif. 

 

[1]MAHON Alyce, op. cit., p. 196.

[2]BERTRAND DORLÉAC Laurence, op. cit., p. 275.

[3]DARRAGON Éric (dir.), op. cit., p. 319.

[4]DARRAGON Éric (dir.), op. cit., p. 317.

III. Autour de la réception controversée de l’œuvre : héritage et dépassement.

« L’art est en haute dissidence contre tous les régimes et toutes les formes de coercition, mais surtout contre les régimes qui se servent de lui, qui exigent de lui un impôt matériel ou moral et qui, finalement, ne veulent que l’anéantir. La censure, ne l’oublions pas, est une manifestation de l’instinct de mort[1]. »

 

 

En s’opposant forcément à la censure émise contre le domaine artistique et littéraire en 1966, le happening 120 minutes dédiées au Divin Marquisne pouvait éveiller que l’hostilité des partisans du puritanisme et soulever l’indignation des porte-paroles de la liberté. Vu comme un acte subversif ou laissant perplexe quant à sa mise en forme et à sa visée, nous détenons ici un précieux témoignage de la politique culturelle des années 1960 en France qui s’exprime par l’arrestation de Jean-Jacques Lebel à l’issu du second happening reprenant la figure de Sade le 27 avril de la même année. 

Le Marquis de Sade en tant qu’objet d’études fascinant pour explorer l’échelle de l’obscénité et de la violence (largement gravie aujourd’hui) et le corps comme matériel de pensée et de renouvellement n’ont cessé de susciter la controverse et l’incompréhension du pouvoir dans les années 1960 et 1970.

 

[1]LEBEL Jean-Jacques, Le Happening, op. cit., p. 20.

A. Les 120 minutes dédiées au Divin Marquis : stimulation des élites, de la presse et du pouvoir.

  • « Une pétition est signée, le 27 avril 1966, afin de protester contre « l’interdiction des happenings (…) un attentat net et intolérable contre la liberté de l’esprit. Elles font suite à l’affaire de « La Religieuse » et à l’hystérie anti-beatnik (…)[1] » : signatures de Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre, Maurice Nadeau, Jean Duvignaud, André Breton, Marcel Duchamp, Éric Rommer, Jacques Rivette… 

 

[1]DARRAGON Éric (dir.), op. cit., p. 316.

  • Alain Jouffroy : « Bien que ses happenings soient vides de toute signification, leur médiocrité n’autorise personne, et à la plus forte raison la police d’État, à l’empêcher de s’enfoncer librement dans sa propre confusion[1]. » « La censure est un scandale, la médiocrité n’est qu’un épiphénomène. »

 

  • Jean-Luc Godard, « Lettre au ministre de la Kultur », publiée dans Le Nouvel Observateur et dans Les Cahiers du cinéma : « Comment pourriez-vous m’entendre, André Malraux, moi qui vous téléphone de l’extérieur, d’un pays lointain, la France libre[2]. »

 

  • Francis Lerol : « Le happening, s’il est désir de destruction des mythes collectifs, motivations profondes de l’art comme le montre Freud, respecte et revalorise le fondement primitif du théâtre, je veux dire le culte où les fidèles participent au même titre que les prêtres[3]. »

 

  • Susan Sontag : « Cet engagement abusif du public semble fournir au happening le squelette dramatique qui lui fait défaut[4]. »

 

  • B. Poiroit-Delpech : « Cette chienlit d’atelier, dont la fausse provocation puérile évoquait l’âge mental du bambin qui fait gicler sa bouillie avec le dos de la cuiller[5]. »

 

  • Guy Dumur : « le happening, encore peu connu du grand public, est la seule forme de théâtre pour laquelle beatniks, élégants et bourgeois d’avant-garde puissent encore vibrer[6]. » « Une soirée à l’ex-Bus Palladium, une tournée des bars et des boîtes de strip-tease bon marchés de Pigalle permettent à qui sait les voir des sensations plus violentes que ces spectacles à demi élaborés qui, faute d’être maîtrisés par celui qui veut provoquer le déchaînement des foules, ne font qu’amuser. »

 

  • A. Breton, déclaration au Nouvel Observateur, 10 décembre 1964 : « Le happening, progéniture de , me semble frôler un des pires écueils : la promiscuité sexuelle[7]. »,

 

« offense au chef d’État et outrage aux mœurs[8] ».

 

[1]LEBEL Jean-Jacques et MICHAËL Androula, op. cit., p. 295 (à partir de : « Mais qu’est-ce qu’entend la police de quartier au happening ? », Combat, 25 avril 1966).

[2]BERTRAND DORLÉAC Laurence, op. cit., p. 270.

[3]LEBEL Jean-Jacques et MICHAËL Androula, op. cit., p. 293 (à partir de : Francis Lerol, « Qu’est-ce que le happening ? », Combat, 5 avril 1966).

[4]LEBEL Jean-Jacques et MICHAËL Androula, op. cit., p. 259 (Lettre ouverte au regardeur).

[5]LEBEL Jean-Jacques et MICHAËL Androula, op. cit., p. 293 (à partir de : Bertrand Poirot-Delpech, « L’art de l’avenir », Le Monde, 6 avril 1966).

[6]LEBEL Jean-Jacques et MICHAËL Androula, op. cit., p. 293-294 (à partir de :Guy Dumur, « Un Quat’zarts rajeuni », Le Nouvel Observateur, 13 avril 1966).

[7]LEBEL Jean-Jacques, Le Happening, op. cit., p. 11-12.

[8]LEBEL Jean-Jacques et MICHAËL Androula, op. cit., p. 185.

Article tiré de France-Dimanche, n°1025, 1966

« Le vaudou de l’âge industrie », article de Jean Duvignaud paru dans Le Nouvel Observateur, 13 avril 1966

B. La postérité du Marquis de Sade dans l’œuvre de Jean-Jacques Lebel.

  • 2014-2015 au Hangar à Bananes de Nantes : exposition Présenter l’irreprésentable avec

  • Jean-Jacques Lebel.

  • Danielle Schirman : cinéaste et dessinatrice.

  • Alain Fleischer : enseignant, artiste, cinéaste, photographe.

  • Même année : exposition "Sade. Attaquer le soleil" au Musée d’Orsay.

  • Bicentenaire mort du Marquis : célébrer son œuvre et sa pensée.

  • Proposition de Lebel : idée en 1966 pendant happening des 120 minutes dédiées au Divin Marquis de transmettre le texte de la « Neuvième journée » à des artistes pour qu’ils jouent de leur inspiration. Mais projet ne portant pas ses fruits[1].

 

  • Reprise du projet : concours de Danielle Schirman ayant créé un « Théâtre pour la main » sur le principe des livres ludiques pour enfants avec des languettes animant les personnages.

  • Ainsi concernant le rapport du regardeur aux images : « c’est son imagination qui crée l’action, le mouvement, la durée[2]. » Projection des fantasmes. Retour position scopophile a priori. Mais aussi regardeur en position d’acteur car actionnement de ses pensées et de sa main – comme  contribution sexuelle – pour mouvoir les dessins.

  • Références complètes avec le décor de l’ouvrage de Schirman : château Lacoste où vécut Sade, positions sexuelles des protagonistes. 

 

[1]FLEISCHER Alain, LEBEL Jean-Jacques et SCHIRMAN Danielle (dir.), Présenter l’irreprésentable, cat. exp. Lyon, Éditions Fage, 2014, p. 6

[2]FLEISCHER Alain, LEBEL Jean-Jacques et SCHIRMAN Danielle (dir.), op. cit, p. 65

Danielle Schirman, Théâtre pour la main, 2014, film

  • Présenter l’irreprésentable : jouer sur les codes de bienséance et de la violence. Artistes exhortant les maux de la société transitant souvent par le sexe.

  • Lebel, Le Labyrinthe, scènes d’occupation américaine à Bagdad, 2013 : d’après lui, ironiquement, ce n’est pas la torture qui est choquante, mais l’organe sexuel[1]…

  • Cacher pour finalement louer le martyr du corps dans la guerre.

  • Dimensions des clichés mettant à mal le regardeur : se trouve confronter à des images de taille humaine le renvoyant à ses propres affres. 

  • Accentuation de la violence actuelle ne passant plus par les écrits. Dépassement toute morale sadienne.

 

[1]SCHIRMAN Danielle,op. cit.

Jean-Jacques Lebel, Le Labyrinthe, scènes d’occupation américaine à Bagdad, 2013

  • Participation de Jean-Jacques Lebel à des expositions liées à Sade, à la question du masochisme :

  • 2001-2002, Kunsthaus Zurich : "De Sade. Surreal".

  • 2003, Neue Galerie Graz Austra : "Sacher Masoch, the phantom of desire". 

  • Travail de Lebel sillonnée par des interprétations de Sade (références ponctuelles lors de happenings ou d’œuvres, référence entière comme pour 120 minutes dédiées au Divin Marquis).

C. Entre subversion et polémique : l’emploi du corps et de la contestation chez d’autres artistes.

  • 1957, Hermann Nitsch, Otto Muehl et Günter Brus, Théâtre des orgies et des mystères : traitement des tabous et des mythes fondateurs entre autres, par le prisme de la mise en scène d’un « art total[1] » dont le happening est une des manifestations. 

 

  • Années 1960 : « Kusama’s performances were part of the startling phenomenon of the ‘Happening’, a new form of improvisational and provocative performance art which explored issues of sexuality and gender, the erotic body, and politics[2].»

  • Même politique que Jean-Jacques Lebel. Organisation de festivals. 14th Street Happening, 1966 (premier happening). 

  • 1968, devant le New-York Stock Exchange à Wall Street : happening Anatomic explosion on Wall Street. Contre la guerre du Vietnam. Danseurs professionnels sur Le Sacre du Printemps de Stravinsky. Intervention de la police.

 

  • Question du travestissement (induite à celle de la transsexualité) : 1972, Michel Journiac, Piège pour un travesti[4]. Poursuite des réflexions de Jean-Jacques Lebel sur le corps en tant que vecteur de sensations inhibées. Aussi, volonté d’énoncer la bipolarité de l’être humain ne s’astreignant pas à un seul genre, un seul sexe. 

  • Autres artistes transgressant, mettant en scène leur corps face au public[6] :

  • Vito Acconci se masturbant dans une galerie.

  • Robert Morris posant sur des affiches d’après des schémas sadomasochistes. D’autre part, questionnement sur l’homosexualité. 

 

[1]TRONCHE Anne, op. cit.

[2]MAHON Alyce, op. cit., p. 192.

[3]MAHON Alyce, op. cit., p. 196.

[4]TRONCHE Anne, ibidem.

[5]TRONCHE Anne, ibidem.

[6]JONES Amelia, Body Art / Performing the subject, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1998.

Yayoi Kusama, Anatomic explosion on Wall Street, 1968, 

devant New-York Stock Exchange Wall Street, happening

© Yayoi Kusama/Yayoi Kusama Studio, Inc

Michel Journiac, Piège pour un travesti, juin 1972.

Série de trois photographies d'un homme se travestissant en Greta Garbo, plus un miroir

CONCLUSION

« Le happening est la concrétisation du songe collectif et le véhicule d’une intercommunication. À ce niveau, l’expression échappe à la censure, à la sophistication, au négoce, au principe du rendement[1]. » voilà en somme le but ultime d’une telle pratique exercée par Jean-Jacques Lebel pour s’opposer à toute forme d’esclavagisme politique, moral et social annulant les potentialités créatrices du collectif au profit de l’individualisation passive et stérile.

 

Il fait naître ses contestations dans 120 minutes dédiées au Divin Marquis au travers de la permission des pulsions sous l’égide d’un des plus grands manifestes et d’une des plus grandes figures de la transgression libertaire. Ainsi perpétré au Théâtre de la Chimère, le happening de Jean-Jacques Lebel se moque d’une part de la position quasi-dogmatique du père du Surréalisme et d’autre part, de l’excessif classicisme et traditionalisme de la pratique théâtrale. C’est pourquoi il renverse tout à la fois la rectitude et la verve sadienne du récit originel – allégorie institutionnelle de sa société – ainsi que la position statique du regardeur pour admettre une sorte de catharsis innovante glorifiant le corps dans son potentiel expressif sensible. Celui-ci devenant alors le vecteur suprême de la destruction des valeurs inhibitrices. Dans ce sens, Jean-Jacques Lebel réussit par cette prestation d’avril 1966 à arracher l’essence même de l’homme de la répression sociétale caractérisée par l’hypocrisie de l’ambiance politique générale. 

 

En effet, des effluves de bienséance et de décence semblent être exécrables quand l’artiste rend compte des violentes prises de décisions exercées par le pouvoir du Président de Gaulle. Décolonisation dans une atmosphère de Guerre Froide, société aveuglée par son conditionnement économique, occultation et domination de la femme en général et des personnes considérées comme « déviantes » (par leurs modes de vie ou par leurs aspirations biologiques), suffisent à organiser une projection satirique tendant à formuler en creux les bases utopiques d’une société nouvelle. 

 

La traduction de cette volonté s’effectue dans ce happening (comme dans les plus retentissants de Lebel, à l’instar de Pour conjurer l’esprit de catastrophe et Déhirex) par le biais du « dépassement de l’aberrante relation de sujet à l’objet (regardeur/regardé, exploiteur/exploité, spectateur/acteur, colonialiste/colonisé, aliéniste/aliéné, légalisme/illégalisme, etc.)[2] » Le regardeur se mue alors en « viveur », comme nous l’avons vu précédemment, en intégrant à son corps et à son entité le développement de l’œuvre d’art pour aboutir à ce que « L’objet de l’expérience, [ce soit] l’être[3]. »

Il s’agit donc d’alternatives langagières, participatives et matriarcales masochiennes proposées par Lebel, lesquelles ont sans aucun doute retenti en Mai 68. Laurence Bertrand-Dorléac n’hésite pas à utiliser l’expression de « happenings permanents[4] » à propos des barricades de pavés et de taules, des manifestations, des contestations lors de cette période de transition, juste avant que le terme ne perde de son sens énergique et significatif quand « la classe politique elle-même, qui, avec retard, préfère plutôt que de mourir se rallier officiellement à l’idée de mouvement et de changement[5]. »

Enfin ne négligeons pas l’activité foisonnante actuelle de Jean-Jacques Lebel. Au-delà de la pratique du happening, il a récemment été le sujet de nombreuses expositions mettant en exergue son caractère protestataire et sa contribution hétéroclite au renouveau artistique : Soulèvements à La Maison Rouge en 2010 ; Présenter l’irreprésentable au Hangar à Bananes en 2014-2015 (avec Danielle Schirman et Alain Fleischer) ; Transfertsactuellement à la Galerie Louis Carré et en 2018, l’ambition d’une « exposition protéiforme et rhizomique[6] » au Centre Pompidou et au Palais de Tokyo qui annonce certainement une sorte de rétrospective de l’œuvre de Lebel influencée par les différentes périodes artistiques et historiques traversées. 

 

[1]LEBEL Jean-Jacques, Le Happening, op. cit., p. 36.

[2]Ibidem, p. 14.

[3]LEBEL Jean-Jacques et MICHAËL Androula, op. cit., p. 257 (Lettre ouverte au regardeur).

[4]BERTRAND DORLÉAC Laurence, op. cit., p. 290.

[5]BERTRAND DORLÉAC Laurence, op. cit., p. 291.

[6]STELLA Rachel, op. cit.

Exposition "Soulèvements", 15 octobre - 17 janvier 2010, 

La Maison Rouge

SOURCES

Articles

 

GOLLIAU Catherine, « Repère. Un siècle faussement libre », Le Point Hors-Série, n°16, octobre-novembre 2014, Paris, Le Point (pages 12-13).

PUJAS Sophie, « La passion surréaliste », Le Point Hors-Série, n°16, octobre-novembre 2014, Paris, Le Point (pages 71-72).

 

 

Livres

 

BERTRAND DORLÉAC Laurence, L’ordre sauvage. Violence, dépense et sacré dans l’art des années 1950-1960, Paris, Éditions Gallimard, 2004.

DARRAGON Éric (dir.), La provocation, une dimension de l’art contemporain [XIX-XXe siècles], Paris, Publications de la Sorbonne, 2004.

FLEISCHER Alain, LEBEL Jean-Jacques et SCHIRMAN Danielle (dir.), Présenter l’irreprésentable, cat. exp. Lyon, Éditions Fage, 2014.

JONES Amelia, Body Art / Performing the subject, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1998.

LEBEL Jean-Jacques et MICHAËL Androula, Happening de Jean-Jacques Lebel ou l’insoumission radicale, Paris, Hazan, 2009.

LEBEL Jean-Jacques, Le Happening, Paris, Denoël, 1966.

MAHON Alyce, Eroticism and art, New-York, Oxford University Press, 2005.

R. SANDFORD Mariellen, Happenings and Other Acts, Londres, Routledge, 1995.

 

 

Reportage

 

SCHIRMAN Danielle,  L’art du mont(r)age de Jean-Jacques Lebel, vidéo réalisée à l’occasion de l’exposition « Soulèvements » à La Maison Rouge en 2009. URL : https://vimeo.com/91545282[consulté le 21 septembre 2016].

 

Sites internet

CHARLES Daniel, « PERFORMANCE, art ». In Universalis éducation [en ligne]. Encyclopædia Universalis, consulté le 21 septembre 2016. Disponible sur http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/performance-art/.

DONGUY Jacques, « KAPROW ALLAN - (1927-2006) ». In Universalis éducation [en ligne]. Encyclopædia Universalis, consulté le 21 septembre 2016. Disponible sur http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/allan-kaprow/.

PLUCHART François, « HAPPENING ». In Universalis éducation [en ligne]. Encyclopædia Universalis, consulté le 21 septembre 2016. Disponible sur http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/happening/.

STELLA Rachel, Jean-Jacques Lebel. Transferts, Paris, Louis Carré & Cie, 2016.

(aussi disponible au format PDF édité en 2016 à l’adresse suivante : http://www.louiscarre.fr/expositions/jean-jacques-lebel-transferts[consulté le 21 septembre 2016]). 

TRONCHE Anne, « BODY ART ». In Universalis éducation [en ligne]. Encyclopædia Universalis, consulté le 21 septembre 2016. Disponible sur http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/body-art/.

VANEL Hervé, « DÉVELOPPEMENT DU HAPPENING SELON ALLAN KAPROW- (repères chronologiques) ». In Universalis éducation [en ligne]. Encyclopædia Universalis, consulté le 21 septembre 2016. Disponible sur http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/developpement-du-happening-selon-allan-kaprow-reperes-chronologiques/.

bottom of page