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Agnès VARDA, Cléo de 5 à 7, 1962.

Analyse de séquence (43’08-47’03).

Fiche technique

 

Titre original : Cléo de 5 à 7

Réalisation : Agnès Varda

Assistants réalisateurs : Bernard Toublanc-MichelMarin Karmitz

Scénario et dialogues : Agnès Varda

Décors : Bernard Eveinassisté par Jean-François Adam

Photographie : Jean Rabier

Cadreur : Alain Levent

Son : Julien CoutellierJean Labussière

Mixage son : Jacques Maumont

Montage : Janine Verneau, Pascale Laverrière

Musique : Michel Legrand

Photographes de plateau : Liliane de KermadecRaymond Cauchetier 

Scripte : Aurore Chabrol

Régie : Jean-François Adam, Édith Tertza

Maquillage : Aïda Carange2

Production : Georges de Beauregard et Carlo Ponti

Société de production : Rome-Paris Films (France)

Sociétés de distribution : Athos Films, puis Ciné-Tamaris(France)

Publicité et affiche : Jean Fourastié

Pays d'origine : France

Langue originale : français

Format : 35 mm— noir et blancet générique en couleur(Gevaert) — 1.66:1— son monophonique

Genre : comédie dramatique

Durée : 90 minutes

Dates de sortie :

France avril 1962avant-premièreau Studio Publicis(Paris)

France 11 avril 1962, sortie nationale

Classifications CNC : tous publics, Art et Essai (visa no 24864 délivré le avril 1962)

Distribution (par ordre d'apparition à l'écran)

 

Corinne Marchand : Florence, dite « Cléo »

Loye Payen : Irma, la cartomancienne

Dominique Davray : Angèle, la gouvernante de Cléo

Jean Champion : le patron du café

Jean-Pierre Taste : le garçon de café

Renée Duchateau : la vendeuse de chapeaux

Lucienne Marchand : la conductrice du taxi

José Luis de Vilallonga : José, l'amant de Cléo

Michel Legrand : Bob

Serge Korber : Maurice, dit « Plumitif »

Dorothée Blanck : Dorothée, l'amie de Cléo

Raymond Cauchetier : Raoul, le projectionniste, petit ami de Dorothée

Antoine Bourseiller : Antoine, le soldat rencontré dans le parc

Robert Postec : le docteur Valineau

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

 

I. « LE DÔME » : UN LIEU POPULAIRE DE RENCONTRES ET D’ECHANGES.                           

A. Un espace de sociabilité pour une fresque moderne. 

B. Capter la fluidité de la vie pour l’ecran : enjeux techniques.

C. La thématique de la flânerie voire de la divagation.                                                                     

II. UNE SÉQUENCE À LA PREMIÈRE PERSONNE.

A. « Tuer le temps » (in UNGAR Steven, Cléo de 5 à 7, Paris, G3J Éditeur, 2013, p. 43-49) ou le discours sur la temporalité.

B. Une réflexion sur l’etat psychique de Cléo : le moment du constat. 

C. L’omniprésence de l’art : un écrin pour l’introspection Cléo / Agnès Varda.

CONCLUSION

SOURCES

INTRODUCTION

Agnès VARDA (1928-)

  • Licence de Lettres – cours à l’école du Louvre – CAP en photographie à l’École Vaugirard.

  • Devient photographe officielle du Théâtre National Populaire de Jean Vilar.

  • 1954 : réalisation de La Pointe courte (un an avant Les Mauvaises rencontres d’Astruc et quatre ans avant l’explosion de la Nouvelle Vague). Film sans autorisation avec équipe réduite & bénévole. Film révolutionnaire (esthétique, recherche). 

  • 1957 : Ô saisons ô châteaux. Beauté sophistiquée des mannequins de mode s’intégrant à la beauté classique des châteaux de la Loire.

  • 1958 : Du côté de la côte. Histoire de la Riviera

  • 1958 : Opéra Mouffe. Traduction des impressions d’une femme enceinte se promenant dans quartier de Mouffetard à Paris (figure du flâneur).

  • Parmi les rares femmes réalisatrices (cf. Germaine DULAC et Jacqueline AUDRY).

  • Considérée comme pionnière du nouveau cinéma.[1]

  • Pas de formation cinématographique : élaboration d’une culture visuelle singulière (histoire de l’art et de la photographie, théâtre, magazines).

 

Contexte (historique et artistique ; genèse du film)

 

« Le film sera tourné dans l’ordre du récit, en décors naturels et dans les rues de Paris. »[2]

 

  • Georges de BEAUREGARD : producteur de nombreux films de la Nouvelle Vague (ex : Godard, Une femme est une femme en 1961) dont Cléo.

  • Invite Varda à faire un petit budget (caractéristique Nouvelle Vague) :« Ne perdant pas de vue le programme économique de la production, j’ai pensé à un film minimal inscrit dans un temps continu. J’y ai ajouté un trajet réel qui peut s’inscrire dans une vraie carte du centre de Paris. » (Agnès Varda).[3]

  • Tournage prévu initialement le 21 mars (filmer le printemps) mais financement incomplet : reculer à la journée du 21 juin (jour le plus long de l’année).

  • Film caractéristique de la Nouvelle Vague : Varda assurant les tâches de scénariste, d’adaptation, de dialoguiste et de metteuse en scène. Assumer pleinement la notion d’AUTEUR (cf. « La politique des auteurs de François Truffaut)[4].

Corinne MARCHAND (1940-) :

  • A suivi le cours dramatique de Robert Vidalise.

  • Meneuse de revue au cabaret de la « Nouvelle Ève ».

  • Partenaires de Bourvil et Georges Guétary dans Pacifico(a joué 700 fois opérette en tournée).

  • Varda remarque Corinne Marchand lors projection film Lolade Jacques Demy.[5]

  • 1962 : sortie en salle et montré au Festival de Cannes.

  • Septembre 1962 : sélectionné pour une projection au festival du film à Venise.

  • 1963 : Syndicat français de la critique de cinéma lui décerne le prix Méliès.[6]

 

[1]S.n., « Cléo de 5 à 7 », Les nouveaux films français, s.d., Paris, Unifrance-film.

[2]VARDA Agnès, Cléo de 5 à 7, Paris, Gallimard, 1962.

[3]VARDA Agnès et BASTIDE Bernard, Varda par Agnès, Paris, Éditions Cahiers du cinéma et Ciné-Tamaris, 1994, p. 48-62.

[4]MARIE Michel, La Nouvelle Vague. Une école artistique, 4eédition, Paris, Armand Colin, 2017, p. 46-48.

[5]S.n., « Cléo de 5 à 7 », Les nouveaux films français,op. cit.

[6]UNGAR Steven, Cléo de 5 à 7, op. cit, p. 129-142.

Choix de la séquence

 

  • Séquence débutant le « Chapitre VIII : Quelques autres de 17h45 à 17h52 ».

  • Séquence bordée par l’art : 

  • Séquence antérieure ("Chapitre VII : Cléo de 17h38 à 17h45") : épisode phare débutant un renversement psychologique. Jeu sur les émotions : chanson « Sans toi » (milieu de l’art et de la musique).

  • Séquence postérieure (« Chapitre IX : Dorothée de 17h52 à 18h ») : en atelier de sculptures. 

  • Séquence animée par l’art : chanson de Cléo ; discours sur l’art ; affiches d’expositions et de galeries.

  • Séquence charnière : saisir l’introspection du personnage par le biais de la mise en scène.

  • Inscription de Cléo dans un contexte socio-historique : café-bistrot comme lieu de rencontres, d’échanges (verbaux et de regards), comme lieu d’exhibition. 

  • Café-bistrot : lieu de la parole libre, de détente, de sociabilité. 

  • Varda : séquence issue de clichés photographiques pris à la sauvette.[1]

  • Nouvelle Vague : 

  • Sortie des studios : tourner en décors réels au sein de la population.

  • Son direct.

 

[1]UNGAR Steven, Cléo de 5 à 7, op. cit, p. 50-110.

Problématique 

 

En quoi la séquence de Cléo au café-bistrot « Le Dôme » relève-t-elle d’une esthétique réaliste pour proposer un documentaire à la fois social et psychologique ? 

I. "Le Dôme" : un lieu populaire de rencontres et d'échanges.

A. Un espace de sociabilité pour une fresque moderne.

  • Depuis la moitié du XIXe siècle : nouveau lieu de sociabilité populaire => le café-bistrot / brasserie.

  • Édouard MANET, Au Café, 1878 (gauche).

  • Jean BÉRAUD, Un café dit L’Absinthe, 1909, huile sur toile, 54.5 x 65.5 cm, Paris, musée Carnavalet (droite).

  • Nouveaux enjeux plastiques : traduire la luminosité, l’ambiance, les jeux de miroirs et de transparence => enjeux que l’on retrouve dans cette séquence et réinterprétés par Varda.

  • Brasserie : permettre de dépeindre une fresque moderne des visages, des classes sociales, des habitudes, des consommations et des sujets de discussion.

  • Varda produisant un film à la fois réaliste et documentaire : permettre au spectateur tant des années 1960 que celui d’aujourd’hui de saisir une atmosphère particulière.

  • Aspect documentaire / réaliste appuyé par la volonté de filmer en décor réel et ambiance réelle avec des clients du café.

  • 108 Boulevard de Montparnasse à l’angle de la rue Delambre.

  • Retranscription topographique fidèle.

  • Séquence témoin des styles et des conversations.

 

« Agnès Varda filme le café comme lieu de représentation où les gens racontent des histoires ou deviennent des personnages d’histoires nées de conversations saisies au vol »[1]

 

[1]UNGAR Steven, Cléo de 5 à 7, op. cit, p. 50-110.

Fresque des classes sociales : galerie des âges et des origines géographiques

 

  • Plan moyen sur l’arrivée de Cléo au café : 1erplan => clients espagnol discutant. Dépeindre l’immigration et la mixité populaire.

  • 2eplan – plan subjectif en travelling caméra épaule : observer l’atmosphère => annonces diverses, homme au comptoir, jeune homme noir jouant au flipper, jukebox.

  • 3eplan (idem) : vieille femme seule et bourgeoise, intellectuels, homme (ouvrier après le travail) lisant son journal, jeune couple.

  • 7eplan (idem) : homme pensif griffonnant, amies critiquant un voisin, femme observant un client lisant.

  • 9eplan : ouvriers étrangers débattant (accent), homme l’interpellant, quelques femmes l’observant.

  • Dernier plan : deux ouvrières cinquantenaires bavardant en buvant de la Suze.

Fresque des conversations 

 

  • Évocation de la guerre d’Algérie : plan italien sur Cléo et plan buste pour les 2 hommes au 1erplan. Spectateur s’insérant comme 3eparticipant à la conversation. Etat des lieux de l’actualité : « Stupides événements d’Algérie ! Foutue politique ! On ne sait plus exactement où on en est dans la pâture. » Entre lassitude, révolte passive, impuissance et incompréhension (traduire l’esprit d’une part de la population française).

  • Autres films français sur la guerre d’Algérie à la même époque :

  • Jean ROUCH et Edgar MORIN, Chronique d’un été, 1961.

  • Alain CAVALIER, Le combat dans l’île, 1962.

  • Jacques ROZIER, Adieu Philippine, 1962.

  • Jean-Luc GODARD, Le Petit soldat, 1963.

  • Chris MARKER et Pierre LHOMME, Le Joli Mai, 1963.

  • Jacques DEMY, Les parapluies de Cherbourg, 1964.

  • Autre évocation de la guerre d’Algérie dans le film : « Chapitre IV : Angèle de 17h18 à 17h25 » => utilisation d’archives radiophoniques faisant état du putsch en Algérie notamment.

  • La jeunesse : raccord regard de Cléo vers une mère et son fils derrière-elle. 

  • Mère sermonnant tendrement son fils qui lit une page de BD dans un magazine et réponse du fils (« Quelles histoires ! Je m’en fiche moi. ») 

B. Capter la fluidité de la vie pour l'écran : enjeux techniques.

  • Agnès Varda : goût pour la « structure » dans ses films.[1]

  • Varda : exploiter ses connaissances photographiques pour les appliquer d’un point de vue stylistique à la mise en scène cinématographique (cf. introduction : photographies à la sauvette).

  • Rapport entre photographie et cinéma autour de la brasserie : enjeux techniques => prises sur le vif, éclairage, sujets-habitués, dépeindre une ambiance

  • Robert DOISNEAU, Café noir et blanc. Joinville-le-Pont, 1948 : différentes classes sociales et lieu de sociabilité.

  • Henri CARTIER-BRESSON, Brasserie Lip, Paris, 1969 : jeu de regard, jeunesse, années 1960.

 

 

« A cette belle liberté, la caméra de Varda, je le concède, se complaît volontiers, car sa nature est fantasque et apprécie d’abord, de tous les procédés qu’offre le cinématographe, les jeux de balançoire du montage et des actions parallèles(ou perpendiculaires improvisées). »[2]

 

 

  • Fluidité de la technique pour des déplacements des protagonistes (travellings et panoramiques) : 

  • Plan 8 : un homme lui ouvre la porte, elle passe, il s’en va.

  • Plan 23 : déambulation de Cléo dans le café (plan taille de dos).

  • Plan 29 : sortie de Cléo => plan américain et travelling d’accompagnement. Se faufile au travers de la foule toujours hétéroclites (galerie de portraits).

  • Fluidité du montage : 

  • Respect d’une temporalité objective et subjective.

  • Provoquer un rythme saturé de raccords regard pour conférer un effet d’étouffement et de monde.

  • Fluidité de la place du spectateur : est guidé par Cléo tout en l’observant.

 

 

Enregistrement du son

 

  • Période de la Nouvelle Vague : problématique de l’enregistrement du son.

  • Varda : volonté d’inscrire son personnage et le spectateur dans une authenticité totale (années 1960).

  • Dans cette séquence : usage d’un magnétophone (tel le NAGRA).

  • Capter les bribes de conversations diverses (brouhaha).

  • Capter les bruits relatifs à l’atmosphère de la brasserie : clochette de la porte d’entrée, tasses, verres et assiettes qui s’entrechoquent…

  • Ambiance unifiée par le morceau rock« La Belle P. » de Cléo à qui personne ne prête attention.

 

[1]UNGAR Steven, Cléo de 5 à 7, op. cit, p. 23-34.

[2]BEYLIE Claude, « Le triomphe de la femme », Les Cahiers du cinéma, tome XXII, n°130, avril 1962, page 24.

  • « La Belle P. » : musique diégétique dite « in » (on voit d’où elle provient : le jukebox) et parcourant toute la séquence.

  • Récurrence du morceau lors du film :

  • Chapitre I.

  • Chapitre III : scène dans le taxi (n’est pas reconnue par la chauffeuse de taxi).

  • Chapitre XI : Cléo chantonne quelques vers dans le Parc Montsouris.

  •  Création du morceau : bande originale pour le film.

  • Parmi les 4 chansons écrites par A. Varda (« Sans toit », « La Menteuse », « La Joueuse ») sur des musiques de Michel Legrand et interprétées par Corinne Marchand.

  • Cf. PAROLES de la chanson.[1]

 

  • Chanson : enregistrement postsynchronisation bien qu’il n’est pas inenvisageable que la musique ait été diffusée sur le lieu de tournage, pendant le tournage.

  • Bruits divers : son synchrone => saisir la réalité.

 

[1]VARDA Agnès, Cléo de 5 à 7, op. cit.

C. La thématique de la flânerie voire de la divagation.

La figure du flâneur [1]

  • Emploi dès la fin du XIXe siècle : poètes et intellectuels observant de manière critique la population.

  • Cf. Baudelaire, Les Fleurs du mal : flâneur s’intégrant dans la foule en y ajustant ses gestes (ex : Cléo qui retire ses lunettes noires).

  • Inscription dans la démarche du film.

  • « Processus de mise en scène de l’espace ».

  • Double fonction de Cléo : « actrice-utilisatrice de l’espace public » et « narratrice interprète de l’espace lui-même ».

  • Activité du flâneur : scruter son environnement dans perspective critique.

  • Figure du flâneur sombrant dans l’anonymat.

  • Redécouverte et revalorisation de la quotidienneté. 

 

« Il s’agit d’une proximité physique, d’un corps-à-corps, et, par certains aspects, d’une rencontre intellectuelle qui se fonde sur l’expérience commune de la vie quotidienne dans l’amalgame métropolitain, et ce même si le flâneur finit toujours par récupérer son individualité, son statut d’observateur. »

 

  • Négation des contraintes corporelles et temporelles.

  • Rapport à la solitude.

 

« Le vagabondage va donc de pair avec un processus d’autoréflexivitéau cours duquel le sujet prend conscience de lui-même et de sa propre histoire, qui correspond cependant en même temps à un acte se déroulant en public. »

 

  • Flânerie comme style de vie (ici la brasserie) : cf. les différents sites du film (vagabondage urbain, méditatif et introspectif).

  • Cf. Mrs Dalloway dans le roman éponyme de Virginia WOOLF : figure de la flâneuse au XXe siècles (panorama / cartographie de Londres et de sa vie au travers de ses rencontres).

  • Cf. L’Opéra-Mouffe de Varda (1958) : flânerie cartographiée dans le Ve arrondissement.

 

[1]NUVOLATI Giampaolo (traduction : RIVIÈRE Clément), « Le flâneur dans l’espace urbain », Géographie et cultures [En ligne], 70 | 2009, mis en ligne le 25 avril 2013, consulté le 6 avril 2018. URL : http://gc.revues.org/2167 ; DOI : 10.4000/gc.2167 (support de la sous-partie).

La thématique de la divagation

 

  • « Désorientation guidée » : 

  • Divagation de Cléo (ne sait pas où elle va dans le café : plans en extérieur / intérieur ; trouve une place assise, la quitte puis y retourne avant de partir définitivement)…

  • … guidant le spectateur au travers des conversations, des espaces du « Dôme » : nombreux raccords mouvement de Cléo comme son entrée dans la brasserie par lequel nous pénétrons nous-même dans le lieu.

  • Paroles de Cléo en voix-off : « Après tant d’années passées au loin, de se retrouver dans ce café, où j’ai passé tant de soirées. Ça oui c’était un plaisir… »

  • Processus d’introspection se mettant en place.

  • Brides de conversations entendues par le spectateur : ce sur quoi Cléo a fixé son attention. Expression de sa subjectivité même : subjectivité de Cléo représentée, qui nous est donnée à écouter et à voir.

  • Divagation généralisée au propos du film : motif de la boucle

  • Parcours en boucle au sein du café.

  • Parcours en boucle au sein de Paris (du 58 rue de Rivoli à l’Hôpital de la Salpêtrière ; du Ier arrondissement au XIVe en écho avec les 14 chapitres – y compris le prologue – du film).[1]

  • Cartographie de Paris et cartographie des états d’âme.

 

[1]Bonus DVD.

Parcours cartographique de Cléo dans Paris (du Ier au XIVe arrondissement) –motif de la boucle (in VARDA Agnès, Cléo de 5 à 7, op. cit.)

II. Une séquence à la première personne.

A. "Tuer le temps" ou le discours sur la temporalité.

  • Film entier : ancrage dans le réel => 21 juin 1961 (journée la plus longue) de 17h à 18h30 et rapport au temps (découpage en chapitres).

  • « Chapitre : Quelques autres de 17h45 à 17h52 » : 4 minutes de temps réel correspondant peu ou proue au temps fictionnel. Temporalité mesurable / altération du temps.

  • Jill Forbes, « Gender and space in Cléo de 5 à 7 », in Studies in French Cinema, vol. 2, 2002, p. 84 « enregistrement de la vie en train d’être vécue ».[1]

  • Originalité scénaristique : donner l’impression de tourner en temps réel.

  • Accentuation de l’effet de réel cher à la Nouvelle Vague.

  • Indices temporels (p. 11) :

 

[1]Ibidem, p. 43-49.

L’horloge du début de la séquence

  • Plan général sur le « Dôme » : au premier plan => horloge de la ville de Paris indiquant 17h45.

  • Défi de Varda et de son équipe : orchestrer et synchroniser toutes les horloges à chaque plan.

 

Le pendentif pendule : apparaît au 4eplan => pendentif grossier sur fond noir : rythmer la peur du temps qui passe et de la mort / maladie.

 

Quelques clients ont disparu : ceux en-dessus de l’affiche « Manet » :clients du plan 13 sous l’affiche de Manet et de Klee ayant disparu au plan 25.

  • Autres séquences ponctuées par des pendules, horloges, sonorités renvoyant au temps qui passe et à la mort :

  • Ex : prologue => fond sonore de la prédiction rythmée par le tic-tac du pendule. 

  • Séquence analysée : force dramatique de Cléo à faire passer le temps jusqu’aux résultats du diagnostic.[1]

  • Mélange temporalité objective (mesurable par les instruments) et subjective (celle de Cléo et la nôtre en tant que spectateur).

  • Temporalité reflétant le style d’une époque : vie culturelle, goût vestimentaire.

  • Ainsi valeur d’image-archive / documentaire.

 

[1]Ibidem.

« Ainsi les films de Varda utilisent genre et durée de façon variable à l’intérieur d’une pratique qu’elle remodèle en permanence. Il en résulte ce qui est moins un genre hybride entrefiction et documentairequ’une pratique dans laquelle les attentes induites par les conventions de genre et de durée sont satisfaites ou déçues d’une film à l’autre. Ceci contribue à faire d’Agnès Varda un modèle pour les réalisateurs indépendants qui jouent avec les limites des formats de fiction et de documentaire. » [1]

 

« Ce film se déroule « au temps présent ».La caméra ne quitte pas Cléo de cinq heures à six heures trente. Si le temps est réel, les trajets le sont aussi ; les « durées » sont vraies. » [2]

 

[1]UNGAR Steven, Cléo de 5 à 7, op. cit, p. 8.

[2]VARDA Agnès, Cléo de 5 à 7, op. cit.

B. Une réflexion sur l'état psychique de Cléo : le moment du constat.

  • Rares élocutions de Cléo échangées avec son environnement : cf. flâneuse – isolement physique et psychologique.

  • Cf. thématique de l’observation / scrutation. 

  • Séquence charnière du début de sa métamorphose psychique : prise en compte de son individualité et de son identité (en-dehors du statut de star)

  • Panel des émotions : nonchalance (plan 6 : démarche sur la terrasse), lassitude, mélancolie, souvenir (plan 12 : paroles de la pensée), bienveillance (plan 28 quand elle s’apprête à quitter le café).

  • Dénoter son évolution au sein du « Dôme » (lieu populaire d’échanges).

  • Séquence formulant un constat / état des lieux de sa vie.

  • Traduction de l’état psychologique de Cléo par le spectateur en fonction de ses absences dans le brouhaha, de sa déambulation, de ses scrutations…

 

« Cléo de cinq à septdécrit le bref moment de la vie d’une femme. Mais le cinéma possède le privilège de la synthèse. En suivant le comportement d’un être pendant deux heures, il lui est possible de se livrer à la plus profonde des introspections. Entre cinq et sept, le spectateur pourra connaître l’âme de Cléo. Et Cléo aura fait un vaste tour d’horizon de sentiments, aura mesuré l’égoïsme de certains, la gentillesse de quelques autres, elle aura découvert l’amour, la tendresse et la peur. Ainsi que le définit son auteur, c’est en cent minutes l’évolution d’un caractère entre la coquetterie et l’angoisse. »[1]

 

« L’essentiel est qu’un jour, et à cause de sa peur, Cléo elle-même se voit d’une façon plus lucide, ce qui veut simplement dire qu’elle prend du recul et comprend la relative importance de sa propre existence. »[2]

 

  • Café-bistrot : lieu où l’on se voit, où l’on veut se faire voir mais ici tout le monde semble l’ignorer, trop absorbé par les conversations (personne ne prête attention à la musique et cliente critiquant le volume sonore : « Ah il y a trop de bruit ici avec cette musique. C’est fou ! On ne s’entend plus parler ! »).

  • Lunettes de soleil noires : perpétuer un statut d’égérie / d’icône / vedette.

  • Mesure le côté éphémère du succès.

  • Questionner la place de la starau sein de la société.

 

[1]S.n., « Cléo de 5 à 7 », Les nouveaux films français,op. cit.

[2]VARDA Agnès, Cléo de 5 à 7, op. cit.

Jeu sur la transparence 

  • Début de la séquence : jeu de transparence entre les diverses parois vitrées (tourniquet, vitres séparant l’extérieur de l’intérieur)…

  • Métaphore de la transparence de Cléo aux yeux des habitués : personne ne lui prête attention.

Jeu sur les miroirs 

  • Pilier à facettes miroitantes (plan 9) : 

  • Démultiplier la présence de Cléo => en chair et en chanson.

  • Signifier la transformation (cf. prologue : cartomancienne).

  • Rhétorique narcissique : la beauté – le temps qui passe – la mort. 

  • Quelques exemples dans film :

  • « Chapitre I : Cléo de 17h05 à 17h08 » : narcissisme devant miroir (beauté et mort).

  • « Chapitre II : Angèle de 17h08 à 17h13 » : Cléo et Angèle dans le café « Ça va, ça vient ». Scène en écho avec celle ici analysée : se montrer et être vue ; saisir des brides de conversation (jeunes couples, bavardage d’Angèle) ; présence d’un pilier à facettes miroitantes : cf. rapports narcissiques et fragmentation de la personnalité (entre beauté et décrépitude) ; références à l’iconographie des brasseries (miroirs tapissant les murs).

 

Le prisme de la mort et de la maladie

 

  • Plans 9-10-11 : face-à-face (raccord regard) de Cléo avec l’enfant et le bébé => interaction avec les épisodes de la vie.

  • Témoigner du passage générationnel.

  • Hypothèse de ce qu’elle ne pourra pas avoir : des enfants.

C. L'omniprésence de l'art : un écrin pour l'introspection Cléo / Varda. 

  • Cadre du café « Le Dôme » propice à la réflexion artistique :

  • Jean GABIN dans Le Tatouéde Denys de La Patellière (1968) : tatouage d’Amedeo Modigliani au « Café du Dôme ».

  • « Les Dômiers » : personnalités du monde de l’art se réunissant et se rencontrant au Café (Robert Capa, Henri-Cartier Bresson, Max Ernst, Paul Gauguin, Wassily Kandinsky, Marie Laurencin, Henry Miller, Pablo Picasso, Man Ray, Chaïm Soutine, Gerda Taro)…

  • Au sein du quartier Montparnasse qui devient un centre de création artistique des avant-gardes au début du XXe siècle. 

  • Brasserie : lieux d’échanges et de rencontres culturelles.

  • Varda : proposer sa propre vision artistique (cinématographique) du lieu-thématique de la brasserie (après les Impressionnistes, les traductions en peinture)…

Film-archive de la vie culturelle :
  • L’art parlé :

  • Plan 3 lors du plan subjectif de Cléo en travelling caméra épaule sur les clients : « J’ai donné cette conférence hier ; Alphonse Séché… »

  • Plan 15 : raccord regard de Cléo vers un vieil homme s’exclamant : « La décadence de la poésie est une chose atroce ».

  • Plan 24 : raccord regard vers un groupe de jeunes étudiants débattant => « Tu le vois bien, la peinture s’appelle « Femme » et moi j’y vois un taureau, ça prouve bien que Miró est Espagnol. » / « Et Picasso, quand il peint un hibou, on dirait une femme, ça prouve quoi, alors ? »

  • Plan 27 (raccord regard de Cléo) : « Il n’y a plus tellement de bons modèles. » (1er peintre en voix-off) / « Et cette énorme femme noire qui posaient pour les sculpteurs ? » (2e peintre en voix-off) / « On ne la voit plus ces derniers temps » (Une femme) / « Je crois qu’elle est repartie en Afrique. » (3e peintre) / « Raciste, va ! » (1erpeintre) sur le ton de l’humour. Cf. immigration.

  • L’art accroché :

  • Plan 12 : Cléo en plan poitrine de côté => arrière-plan témoignant de l’activité artistique parisienne : affiche pour Édouard Manet (Berthe Morisot au bouquet de violettes, 1872, huile sur toile, 55 x 38, Paris, musée d’Orsay) ; affiche pour Philippe Hosiasson (Day Time, 1958) ; Paul Klee ; la pièce de Molière, Dom Juan…

  • Plan 22 : travelling d’accompagnement : dévoiler des toiles du Cubisme analytique et des toiles abstraites.

Abstraction : rapport avec la musicalité. Retranscription des sonorités sur la toile.

  • Plan 27 : affiche pour « Théophilos » au musée des Arts Décoratifs.

La Jeune Fille et la Mort

Hans Baldung GRIEN (1484-1545), 1517, 30,3×14,7 cm, tempera sur bois, Bâle, musée d'art.

Cléo de 17h38 à 17h45

Chapitre VII

Chapitre IX : Dorothée de 17h52 à 18h

Chapitre X : Raoul de 18h à 18h04 Séquence surprise « Les Fiancés du pont Mac Donald » avec Jean-Luc Godard, Anna Karina (ici)

  • Cléo de 5 à 7 : véritable réflexion sur l’art avec plusieurs discours et références

  • Cf. séquence émouvante du chant.

  • Cf. séquence de l’atelier de sculptures. 

  • Milieu du film (« Chapitre X : Raoul de 18h à 18h04 ») : court-métrage burlesque dit « Les Fiancés du Pont Mac Donald » pour impulser la suite du récit (avec Jean-Luc Godard, Anna Karina, Eddie Constantine, Sami Frey, Georges de Beauregard, Danièle Delorme, Yves Robert, Alan Scott, Jean-Claude Brialy, Émilienne Caille). 

  • Présence et référence à la peinture d’Hans BALDUNG GRIEN ponctuant le décor dont La Jeune fille et la Mort, 1517 (astrologie, mysticisme, prisme de la maladie / mort).

  • « Le Dôme » : sorte de galerie artistique éclectique.

CONCLUSION

« Ce mélange se retrouvera dans Cléo, qui peut se comprendre comme le portrait de fiction d’une femme, intégré dans un documentaire sur Paris. »[1]

 

  • Sorte de film-archive sur la vie parisienne et l’état d’esprit des années 1960.

  • Au final effacement des frontières entre la fiction et le documentaire : créer une nouvelle esthétique.[2]

 

Caractéristique de la séquence // du film : la CINÉCRITURE

 

Cinécriture : « J’ai lancé ce mot et maintenant je m’en sers pour indiquer le travail d’un cinéaste. Il renvoie à leurs cases le travail du scénariste qui écrit sans tourner et celui du réalisateur qui fait sa mise en scène. Cela peut être la même personne mais la confusion persiste souvent. [Suite de la citation précédemment notée] » (Agnès Varda)[3]

 

  • Cinécriture : réalisation en tant que processus créatif intégré. Analogie entre cinéaste et écrivain.

  • Cf. concept de caméra-stylo d’Alexandre ASTRUC en 1948 (« Naissance d’une nouvelle avant-garde : la caméra-stylo ») : vision du réalisateur en tant qu’auteur.[4]

 

La réception de Cléo de 5 à 7

 

« Enfin, voici, pour notre ravissement désormais sans nuance, cette pierre précieuse jetée dans la mare de l’actualité, que nul limon de celle-ci ne saurait entacher, tant elle diffuse de pure clarté ; un film beau comme la rencontre inopinée sous le ciel parisien d’une fille de théâtre et d’un tourlourou, beau comme un épithalame ; quelque chose ayant trouvé sa tonalité si haute, sa tessiture si limpide que de peur de faire un couac on n’ose pas y toucher : Cléo.

Une femme, pour la première fois, nous parle. Comme dirait Marguerite, par la voix d’Emmanuelle : quel événement ! »

« C’est en tout cas le triomphe de la femme. »[5]

 

  • Film considéré comme « féministe » : femme comme sujet principal menant l’histoire et le spectateur + réalisatrice.

  • Réception favorable la plupart du temps sauf pour François GIROUD (pourtant pionnière de l’expression « Nouvelle Vague » et d’une étude sur la jeunesse) : « [Cléo] est-elle belle ? Plutôt ensommeillée dans sa tête, non éveillée au monde, objet… Pour certains, LA femme. Pour d’autres, rien et surtout que ça ne fasse pas de bruit. » (in AUDÉ Françoise, Ciné-modèles, cinéma d’elles, Lausanne, L’Âge d’homme, 1981, p. 140)[6]

 

  • Pérennité des films de la Nouvelle Vague (ex : F. Truffaut, Les 400 Coups, 1959 ; A. Resnais, Hiroshima mon amour, 1959) dont Cléo de 5 à 7 : saisir le « moment du présent ».[7]

  • Aura du film de Varda : artiste Madonna proposant un remake.[8]

 

[1]UNGAR Steven, Cléo de 5 à 7, op. cit, p. 25.

[2]MARIE Michel, La Nouvelle Vague. Une école artistique,op. cit., p. 75-77.

[3]VARDA Agnès et BASTIDE Bernard, Varda par Agnès, op. cit., p. 14.

[4]MARIE Michel, La Nouvelle Vague. Une école artistique,op. cit., p. 36-38.

[5]BEYLIE Claude, « Le triomphe de la femme », op. cit., p. 19-28.

[6]UNGAR Steven, Cléo de 5 à 7, op. cit, p. 122.

[7]MARIE Michel, La Nouvelle Vague. Une école artistique,op. cit., p. 140-143.

[8]Bonus DVD.

SOURCES

Ouvrages 

 

MARIE Michel, La Nouvelle Vague. Une école artistique, 4eédition, Paris, Armand Colin, 2017.

UNGAR Steven, Cléo de 5 à 7, Paris, G3J Éditeur, 2013.

VARDA Agnès, Cléo de 5 à 7, Paris, Gallimard, 1962.

VARDA Agnès et BASTIDE Bernard, Varda par Agnès, Paris, Éditions Cahiers du cinéma et Ciné-Tamaris, 1994.

 

Articles – archives 

 

BEYLIE Claude, « Le triomphe de la femme », Les Cahiers du cinéma, tome XXII, n°130, avril 1962, pages 19-28.

NUVOLATI Giampaolo (traduction : RIVIÈRE Clément), « Le flâneur dans l’espace urbain », Géographie et cultures [En ligne], 70 | 2009, mis en ligne le 25 avril 2013, consulté le 6 avril 2018. URL : http://gc.revues.org/2167 ; DOI : 10.4000/gc.2167.

S.n., « Cléo de 5 à 7 », Les nouveaux films français, s.d., Paris, Unifrance-film.

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