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Jeanne Lanvin, couturière emblématique du « Style 1925 ».

Jeanne Lanvin, Robe Mille et Une Nuits, 1925.

Crêpe de soie vert absinthe, lamé brodé de perles nacrées, de cristaux Swarovski et de longs tubes transparents, dimensions inconnues, 

Paris, Palais Galliera – Musée de la mode de la ville de Paris.

En quoi la « robe-bijou » Mille et Une Nuits est-elle une interprétation par Jeanne Lanvin de l’ambivalence du style « Art déco » en Haute-Couture, tant par son esthétique que par la technique adoptée ?

I. La mode au cœur de l’Exposition Universelle des arts décoratifs et industriels de Paris : le pari de la modernité.

A. Le spectacle des couturiers : célébration de la mode et des caractères hétéroclites.

B. Une scénographie moderne, immersive et onirique : chorégraphie des mannequins.

 

II. La Maison Lanvin : une entrée remarquée à l’Exposition Universelle.

A. Une entreprise de Haute-Couture se positionnant entre tradition et modernité.

B. Quand la mode s’associe à l’architecture.

 

III. Mille et Une Nuitsou une proposition singulière traduisant l’esthétique et la technique de l’ « Esprit 1925 ».

A. « Repenser l’architecture du vêtement » : méthodes de confection et motifs ornementaux.

B. Une « garçonne » parée d’une « robe-bijou »équivoque, entre transparence et opacité.

INTRODUCTION

Jeanne Lanvin à Vogue en 1945 : « Je m’efforce […], chaque saison, de saisir l’impondérable qui vogue dans l’air, influencée par les événements, et d’en tirer, d’après ma conception personnelle, une réalisation traduisant mon idéal passager. » [1]

  • Volonté de traduire l’esthétique éphémère mais marquante d’une époque donnée.

  • Propre vision de la société et de la couture déterminant une production.

  • Va-et-vient nécessaires entre la mode et le contexte.

 

Le contexte général

  • Cristallisation esprit de la décennie : robes du soir + robes à danser => brodées de strass, perles et tubes. Représentatives de l’Art déco.

  • Géométrie des motifs.

  • Célébration du mouvement : robes fluides.

  • 20e : couturiers proposant une nouvelle ligne du corps => raccourcissement des robes (genoux).

  • Nouveau canon de beauté : silhouette androgyne.

  • Problématique des Années folles : adéquation du vêtement aux différentes activités de la femme (cf. Chanel : « petite robe noire » se prêtant à toutes les occasions).[2]

 

La Maison Jeanne Lanvin

  • 1909 : adhère au syndicat de la Couture + développe départements « Jeune Fille » + « Femme » => propulser vers maison de Haute-Couture.

  • 1915 : participe à l’Exposition de San Francisco.

  • 1923 : construction à Nanterre d’une usine de teintures. 

  • 1918 : 9 ateliers dont 2 de broderie => spécialité.

  • 1921 : création de « Lanvin Décoration » au 15, rue Faubourg-Saint-Honoré avec Armand-Albert Rateau.

  • Années 1920 : se singularise en proposant des robes du soir splendides affirmant le travail du perlage.

  • 1925 : ateliers Lanvin => 800 personnes + personnels de vente. Maison de Haute-Couture développée.

  • Clientèle : classes sociales célèbres, riches, cultivées (Anna de Noailles, Mary Pickford, Cécile Sorel, Yvonne Printemps)…[3]

  • Broderie + perlage : grandes spécialités visibles Mille et Une Nuits.

  • Maison placée sous le signe de la relation mère-fille : logo d’après photographie de 1907 pour un bal. Dessin de Paul Iribe.

 

Jeanne LANVIN, Robe Mille et Une Nuits, 1925. Crêpe de soie vert absinthe, lamé brodé de perles nacrées, de cristaux Swarovski et de longs tubes transparents, dimensions inconnues, Paris, Palais Galliera.

  • Robe illustrant cette citation d’un point de vue esthétique et technique. 

  • Présentée au Pavillon de l’Élégance de l’Exposition Universelle des arts décoratifs et industriels de 1925.

  • Esprit 1925 : Art déco.

  • Apogée du style Art déco avec l’Exposition Universelle des arts décoratifs et industriels.

  • Style Art déco : de la veille de la 1èreGM – interruption – jusqu’aux années 1930 environ.

  • Style traversé par la mode « garçonne », le goût pour les mouvements fluides ; par de nouvelles techniques industrielles exposées lors de l’événement de 1925 et de nouvelles techniques en couture insufflées par Lanvin.

  • Jeanne Lanvin : place centrale au sein de l’Exposition. 

  • Haute-Couture : matériaux nobles + savoir-faire original et manuel.

 

[1]BARILLÉ Élisabeth, Lanvin, Paris, Éditions Assouline, 1997, p. 12.

[2]Les années folles 1919-1929, dir. JOIN-DETERLE Catherine, GUENE Hélène, ASAKURA Mié, et al., (cat. exp., Paris, Musée de la Mode de la Ville de Paris – Palais Galliera, 20 octobre 2007-29 février 2008), Paris, Paris-Musées, 2007, p. 12-25.

[3]BARILLÉ Élisabeth, op. cit., p. 5-17.

I. La mode au cœur de l'Exposition Internationale des arts décoratifs et industriels : le pari de la modernité.

A. Le spectacle des couturiers : célébration de la mode et des caractères hétéroclites.

« Nous allons jouer en 1925 une partie dont l’enjeu est un demi-siècle de suprématie artistique et commerciale. » (Yvanhoë Rambosson, « Arts décoratifs – L’Exposition de 1925 », 

Comœdia, 29 août 1923) [1]

  • Proposition de cette sous-partie : tour d’horizon du style 1925 et de l’Exposition.

  • Place centrale de la Haute-Couture et de la mode au sein de l’Exposition : considérer la mode comme un art décoratif au lendemain de la 1èreGM (diversion après le trauma de la guerre).

  • Exotisme & onirisme : titre robe Mille et Une Nuits=> invitation au voyage.

  • Sélection d’objets pour l’E.U : répondre aux besoins contemporains fonctionnels & esthétiques.

  • Association mode & produits de l’industrie du luxe / textile : sorte d’art total et collaboratif. 

  • 5 grands groupes d’exposants dont celui qui nous intéresse => Groupe I :

  1. Architecture.

  2. Mobilier.

  3. Parure : Lanvin (présidente du comité de classe) + Jeanne Paquin (vice-présidente).

  4. Arts du théâtre, de la rue et des jardins.

  5. Enseignement.

 

[1]In GUÉNÉ Hélène, Décoration et Haute Couture. Armand-Albert Rateau pour Jeanne Lanvin, un autre Art déco, Paris, Les Arts Décoratifs, 2006, p. 184.

L’indépendance revendiquée de Paul Poiret (ses 3 péniches amarrées Quai d’Orsay)

  • AMOURS : un house-boatdécoré par Martine.

  • ORGUES : une galerie flottante.

  • DELICES : le culte de l’odorat et du goût.[1]

 

[1] Les années folles 1919-1929, op. cit., p. 89-96.

L’allée de la Parure (Grand Palais)

  • Différents stands : Vêtements (classe 20), Accessoires du vêtement (classe 21), Mode, fleurs et plumes (classe 22), Parfumerie (classe 23) et Bijouterie-joaillerie (classe 24).

  • Classe 20 : couturières / couturiers + tailleurs + fourreurs + créateurs de tissus peints ou brodés.

  • Lanvin + exposants : opter pour création architecture uniforme : valoriser individualités exposants.

  • Création lieu unique à l’image du réel.

  • Lendemain de la Première Guerre mondiale  : mode de la couture => volonté constituer front uni & solidaire pour maintenir sa réputation face à la concurrence étrangère.

  • Stand classe 20 : lieu de représentation = hôtel moderne de grand luxe.

  • Mode se montrant dans toutes ses formes dans lieux de loisirs (Deauville, Biarritz, Le Touquet).[1]

 

[1]Ibidem, p. 180-227.

« Classe XX » - Vêtements. 

Stand Lanvin –« Classe XX » - Banquette, fauteuils et chaises en bois laqué et sculpté, deux lampadaires et une suspension en bois doré sur un fond de tissu brodé, tapis en fourrure.

Le Pavillon de l’Élégance

  • Elite de la Haute Couture : Callot (Mme Gerber) ; Jenny ; Jeanne Lanvin ; Worth (le plus ancien établissement représenté: surnommé le « couturier des Cours ») ; Joaillier Cartier ; Hermès.

  • Prestige de la production fr l’honneur pendant cette manifestation internationale.

  • Pavillon autonome (placé du côté du Petit Palais), près de la Porte d’Honneur.

  • Echo clair du stand de la classe 20, allée de la Parure : cohérence & unité.

  • Mêmes auteurs : Fournez (architecture) + Rateau (décoration et ameublement).

  • Modernité sage axée sur principe des volumes simplement & nettement articulés

  • Architecture en béton : gage de solidité + mise en œuvre moderne.[1]

 

« Le Palais de l’Elégance est avec le pavillon de la Ville de Paris (de Roger Bouvard) celui qui caractérise le mieux notre goût dans ce qu’il est de clair, de sobre et d’harmonieux. » (S. Camille, « Elégance et féminités », Exposition internationale 1925 – Journal illustré des arts décoratifs et industriels modernes, 1erjuillet 1925, n°4, p. 58)[2]

 

[1]In GUÉNÉ Hélène, op. cit., p. 180-227.

[2]Ibidem, p. 196.

Pavillon de l'Elégance
Pavillon de l'Elégance
Stand Callot
Stand Worth
Stand Jenny

B. Une scénographie moderne, immersive et onirique : chorégraphie des mannequins.

Mannequins Siégel & Stockman, in 

Rapport général de l'Exposition de 1925.

Scénographie de l’espace

  • Désir de réalisme : meubler les espaces.

  • Présenter la Haute Couture comme du grand art (≠ morne Exposition de Gand en 1913 : Section française de la couture et des accessoires du vêtement).

  • Mise en place d’une réelle scénographie.

  • Chaque espace évoque un moment de la journée avec les tenues qui lui correspondent :

  • Toilettes du jour & de sport : hall.

  • Costumes du matin & ceux des enfants : jardin.

  • Toilettes de l’après-midi : salons de réception du RDC & de l’étage.

  • Toilettes du soir : Salon des lumières.

  • Mannequins : représentation de scènes plus ou moins oniriques de la vie mondaine => sorte de « diorama » des activités qui occupent une journée mondaine (≠ autrefois : mise en scène par types).

  • Aspect théâtral.

  • Lumière artificielle : éclairage électrique étudié pour sculpter espace (sources dissimulées).[1]

 

[1]In GUÉNÉ Hélène, op. cit., p. 180-227.

Mannequins : chorégraphie et nouvelle esthétique

  • Petite tête à la chevelure moulée (≠ cheveux naturels).

  • Visage oblong : cf. Raoul Dufy, Jean Dupas, Chana Orloff… Collaboration des différents arts.

  • Cou étiré sur des épaules tombantes, buste court, jambes longues.

  • Mannequins de bois, de cire noire.

  • Autres alternatives : peau d’or, de bronze, d’argent, de rouge égyptien, gris, violet…

  • Création du mannequin « Art déco »[1] : simplicité des formes, hiératisme, gamme chromatique.

  • Emancipation du mannequin quant à la ressemblance.[2]

  • Lanvin : adopte la Maison Siégel

  • Mannequin pour la robe Mille et Une Nuits : haut socle sur lequel s’appuie un mannequin à l’air rêveur. Scénographie renvoyant à l’iconographie onirique, subtile, éphémère et légère de l’époque des Années folles / « Style 1925 ».[3]

 

 

Lectrices critiquant mannequins de Siégel & Stockman : mannequins tannés de reflets métalliques : 

« Est-ce que ces femmes disproportionnées, aux allures de serpents aux poses épileptiques, au teint argenté, doré, vert, ou marron, sont vraiment l’idéal féminin de l’époque ? Souhaitons que non, pour le bien de la race future, mais alors pourquoi ces mannequins, qui vraiment sont trop affreux, se retrouvent-ils partout imposés dans toute l’Exposition ? »[4](Fanny Grèges, « Opinions de femmes », Les Modes, Paris, juillet 1925, p. 26)

 

[1]Ibidem.

[2]Les années folles 1919-1929, op. cit., p. 73-77.

[3]In GUÉNÉ Hélène, op. cit., p. 180-227.

[4]PICON Jérôme, Jeanne Lanvin, Paris, Flammarion, 2002, p. 194.

Salon Jeanne Lanvin in La Renaissance de l'Art français et des industries de luxe, juillet 1925 p.30.

II. La Maison Lanvin : une entrée remarquée à l'Exposition Internationale.

A. Une entreprise de Haute-Couture se positionnant entre tradition et modernité.

  • Maison Lanvin incarnant toute l’ambivalence de l’Exposition universelle : volonté de proposer un discours résolument moderne mais finalement teinté d’évocations de la tradition. Donc union tradition & modernité.

  • Lanvin : volonté d’aplanir la distinction habituelle faite entre les femmes & les jeunes filles dans une silhouette mouvante, aimable, aux formes naissantes => fluidité du style « Art déco ».

  • Entre 1920 & 1935 : Lanvin invente un idéal de robe (cf. duchesse de Guermantes, héroïne Irène du roman de Paul Morand) => souplesse.[1]

  • E.U 1925 => Lanvin : responsabilité d’organiser la présentation de la couture à l’Expo

  • Seule femme accédant à la présidence de l’une des 37 divisions (« classes ») au sein du commissariat général.

  • Depuis Expo de San Francisco en 1915 : Lanvin a participé à toutes les manifestations internationales d’importance pour l’industrie & le commerce de l’élégance

  • 1922 : Expo franco-belge de Bruxelles (hors concours). 

  • 1923 : participe à la foire de Milan.

  • 1924 : Expo de Strasbourg + Expo fr de NY (hors concours + membre du jury).

 

[1]BARILLÉ Élisabeth, op. cit., p. 5-17.

Robe Lesbos
Robe Maharanée
Robe Les Petites filles modèles
Robe L’Oiseau bleu
Robe Mille et Une Nuits
Robe La Cavallini

À l’Exposition Universelle des arts décoratifs et industriels de 1925 : Lanvin présente

  • Les Petites Filles modèles : robe blanche de fillettes à décor d’ocelles bleus & noirs.

  • 4 robes plutôt droites Madrilène à décor bleu sur noir.

  • Mille et Une Nuits très décolletée, avec ruban.

  • Maharanée où brillent des bandes de lamé argent sur fond rose & aux manches larges comme des ailes, crevées au bras.

  • L’Oiseau bleu rehaussée de fleurs de couleurs.

  • Quadrille : robe de style au décor de fleurs entières jetées comme sur la nappe d’un pique-nique.

  • Merveille de la mer : orange clinquant, modèle brodé de deux énormes poissons se faisant face. 

  • Lesbos : robe sans manches, jetant son éclat vénéneux sous le signal argenté de deux bandes perlées qui pendant comme des colliers depuis les épaules jusque sous le ventre, répétées dans l’autre sens contre un jupe à godets, et qui chuintent au moindre souffle sur la soie pistache.

  • Rita-La Cavallini : ensemble placé au centre du stand Lanvin au Pavillon de l’Élégance. Robe de style noire, bas de tulle transparent, nœud à la taille de perles cousues, chaque boucle ayant l’envergure d’une hanche, et qui retombe à peu près au sol.[1]

 

« Quant aux robes de style, elles se sont, si étrange que cela puisse paraître, encore renouvelées. Tant il est vrai que l’artiste, même en s’inspirant du document, fait œuvre personnelle et anime de son souffle des éléments de beauté qu’elle puise dans le passé. Ces robes sont des œuvres d’art, non seulement par l’effort de reconstitution dont elles témoignent, mais encore par l’imagination décorative qui rajeunit les thèmes anciens […] »[2](Gazette du Bon Ton, n°2, 1924-25, p. 54)

 

  • Multiplie les productions d’interprétation du « Style 1925 » oscillant entre goût pour la modernité et réactualisation de la tradition. Esthétique différente.

  • Robe de style : cf. modes du 2nd Empire + Louis-Philippe.[3]

 

[1]PICON Jérôme, op. cit., p. 190-205.

[2]Jeanne Lanvin, op. cit., p. 85.

[3]GUÉNÉ Hélène, op. cit., p. 180-227.

B. Quand la mode s'associe à l'architecture.

Contexte : association couturiers & décorateurs

  • Milieu années 1920 : adéquation architecture et couture.

  • Architecte Louis Süe et couturier Jean Patou : construction des modèles d’après esquisse ; intérêt pour les formes et les lignes harmonieuses.[1]

  • Raoul Dufy (Artiste-peintre, dessinateur, graveur, illustrateur de livres, créateur de tissus, de tapisserie et de mobiliers, décorateur d'intérieur, d'espaces publics, de théâtre) et Paul Poiret.

  • Ernesto Thayaht et Madeleine Vionnet.

  • Madame Agnès (modiste) – Jean Dunand (laqueur, dinandier, sculpteur) et Worth.[2]

 

Diverses collaborations entre Jeanne Lanvin & Armand-Albert Rateau : 

  • Magasin « Lanvin Décoration » + théâtre Daunou + autres boutiques.

  • 1927 : « Arpège » : Rateau conçoit boule noire (fragrance composée par parfumeur André Fraysse).

  • Lanvin-Rateau : amour de la matière, harmonie apollinienne des lignes, logique du détail amplifié.

  • Lanvin-Rateau : même idéal de raffinement, unique génie à tirer de la matière intime des rêves le principe d’une réalité sublimée.[3]

 

« M. Rateau a établi une composition à la fois simple et somptueuse ; sobre par ses surfaces latérales tranquilles qui laissent toute leur valeur aux toilettes, somptueuse par les plafonds riches en couleur, extrêmement moderne dans ses détails, mais d’un moderne assagi. »[4](Jean Gaumont, « La présentation de la classe 20 », La Classe 20-Le vêtement français, p. 12)

 

  • « Classe XX » (classe du vêtement) : intérieur du Grand Palais dans hall décoré par Rateau en collaboration avec architecte Robert Fournez.

  • Atmosphère « de haut luxe » (meubles en bois sculpté, éléments peints ou plaqués d’or, staffs moulés et moulurés).

  • Stand Lanvin : rose dominant matérialisé par tentures en tissu (canapé, fauteuils, lampadaires).

  • Ephémère : Maison Lanvin remplaçant « Lanvin Décoration »

 

Stand Lanvin au Pavillon de l’Élégance

  • Exemple de la mode de la haute couture française.

  • Ambiance à dominante rose & vert.

  • Peu de meubles (table en bronze, paravent, grand miroir à 3 glaces, quelques fauteuils en bois laqué, haut socle sur lequel s’appuie un mannequin à l’air rêveur). 

  • Tapis : graphisme + couleurs originales.[5]

 

Architecture matérielle – Architecture corporelle : 

  • Inscription du corps dans un environnement moderne.

  • Proposer une nouvelle mobilité corporelle en adéquation avec l’espace.

  • Repenser le corps en fonction de l’architecture : formes géométriques architecturales et application des théories en Haute-Couture, et vice-versa. 

 

[1]1925. Quand l’art déco séduit le monde, dir. BRÉON Emmanuel et RIVOIRARD Philippe, (cat. exp., Paris, Cité de l’architecture et du patrimoine, 16 octobre 2013-17 février 2014), Paris, Éditions Norma, 2013, p. 30-35.

[2]Les années folles 1919-1929, op. cit., p. 12-25.

[3]BARILLÉ Élisabeth, op. cit., p. 5-17.

[4]In GUÉNÉ Hélène, op. cit., p. 190.

[5]GUÉNÉ Hélène, op. cit., p. 180-227.

III. Mille et Une Nuits ou une proposition singulière traduisant l'esthétique et la technique de l' "Esprit 1925".

A. "Repenser l'architecture du vêtement" (in Les années folles 1919-1929, op. cit., p. 12) : méthode de confection et motifs ornementaux.

  • Années 1910 : valeur de simplicité, rigueur, confort, aspect pratique => transformation coupe dominée par la ligne, le plat, le tube (// tubes transparents pour ornementation).

  • Architecture fondée non plus sur pointe des seins & taille mais sur épaules + hanches libres.

  • De 1925 à 1928 : omniprésence des lignes droites.

  • Pour la 1èrefois depuis le 14e : la taille = basse.

  • Essence même de la beauté : sobriété + caractère fonctionnel des vêtements // structure immeuble.

  • Robes conçues comme succession de plans : volume du corps absorbé par aplats de tissus & pans.

  • Encolure : sautoir à double rang en trompe-l’œil => cf. motif évoquant mobilier & décor de Rateau.[1]

  • Décolleté + dos échancrés en V => image féminine style Lanvin : silhouette simple + flexible, emblématique des Années folles.[2]

 

  • Lanvin : ne monte jamais ses robes elle-même et ne dessine pas elle-même.

  • Emploie des modélistes pour interpréter conceptions.

  • Travaille au quart d’échelle : apporter autant de modifications nécessaires à coût minimal, sans gaspillage de tissu. 

  • Œil irréprochable de Lanvin pour le détail et l’harmonie.[3]

 

[1]Ibidem, p. 12-25.

[2]MERCERON L. Dean, Lanvin, Paris, Éditions de la Martinière, 2008.

[3]Ibidem.

  • Hybridation des motifs : 3 panneaux frontaux.

  • Côtés + pan central : motifs végétaux déclinés (sorte de pétales).

  • Motif floral central accouchant d’une ligne reprenant son style. 

  • Aspect végétal accentué par le vert absinthe (cf. alcool) : vif comme l’époque dans lequel il s’inscrit, dynamique et festif, soutenant les contrastes perlés et brodés.

  • Quasi sorte de motif all-over : grande répétition sur la surface inférieure de la robe.

  • Motif végétal emprunté au répertoire babylonien : influence orientale.

  • Sautoir ornemental soutenant ligne des motifs floraux principaux : liens figuratifs établis au sein robe. Sautoir : petites fleurs atemporelles (ne rappellent pas une influence particulière).

 

  • Fluidité + mouvement se traduisant par une matière souple : CRÊPE DE SOIE.

  • Tissue en soie très léger et fin, permettant des jeux d’opacité (avec les motifs) et de transparence : spécialité de la Maison Lanvin. 

  • Cf. exemples robes Lesbos+ Salambo (cf. proximité avec teinte des tissus + matière). Cf. teinture : usine à Nanterre.

  • Tissu permettant de contraster avec la lourdeur des motifs végétaux.

  • Performativité : utilisation de tissu léger pour communiquer la légèreté des esprits au lendemain de la guerre.

 

  • Architecture du tissu, du corps et de l’esprit.

Détail de la Robe Salambo : pelage au tambour.

Robe Salambo.

 1925. Robe tube sans manche à profond décolleté en V devant et dos laissant voir un fond de robe légèrement orné, perlage au tambour, perles de rocailles rondes e tubulaires. Paris, Patrimoine Lanvin.

B. Une "garçonne" parée d'une "robe-bijou" (Jeanne Lanvin, dir. GROSSIORD Sophie, op. cit, p. 109-112) équivoque, entre opacité et transparence.

« Aucun lamé, aucune broderie n’est trop riche pour le soir. » Vogue, 1er janvier 1926, p. 10[1]

 

 

  • Robe-bijou : robe parure ornée de différentes matières, textures conférant du relief au tissu initial et nourrissant le culte de la modernité.

 

« Les broderies de perles somptueuses comme un travail de joaillerie restent les plus élégantes pour le soir. »[2]

Vogue, 1erseptembre 1925, p. 4

 

  • Technique ornementale prisée : apogée de la broderie.

  • Broderie à motifs découpés : ajourer un tissu et renforcer le vide obtenu. Celui-ci est parfois rempli de broderie ou de dentelle à l’aiguille. 

  • Usage de la broderie à fils tirés ou découpés : donner du relief à des tissus simples + accentuer ourlets & bordures. Types de broderie associés aux collections printemps / été. Cf. technique traditionnelle.

  • Elégance des toilettes du soir reposant sur lamés texturés + chatoyance.[3]

 

Décor et broderie

  • Cf. ornement architectural.

  • Ateliers de broderie dirigés par Mme Camille et Mme Mary.

  • Ateliers de broderie Lanvin : on brode majoritairement à la main mais aussi utilisation machine à broder Cornely autorisant une grande variété d’effets & d’enroulements (≠ ateliers de broderie en général : majorité des ouvrières brodant à la main et une seule sur machine). Introduction de la machine : modernisme esthétique.

  • Prédilection de Jeanne pour le décor brodé + grand raffinement.

  • Lamé brodé : conférer aspect brillant et délicat. Qui est orné de fines lames (d'or, d'argent, etc.), qui est tissé avec des fils de métal ou de matière synthétique lui conférant un aspect scintillant.

  • Perles nacrées : < nacre=> Matière calcaire (mélange de conchyoline et de carbonate de calcium), blanche, dure, à reflets irisés, sécrétée par certains mollusques et revêtant l'intérieur de leur coquille, formée de lamelles superposées parallèles, utilisée en bijouterie, en tabletterie et en marqueterie.

 

Jeu sur éclat & transparence

  • Tubes transparents.

  • Cristaux Swarovski : autre jeu sur la transparence. Association mode / bijou : robe-bijou. Antécédents de la Maison Swarovski dans la mode : collaboration avec Worth, Paquin (Exposition Universelle de 1900), Sœurs Callot.

  • Mode garçonne popularisant strass + cristaux Swarovski.

  • Nouveautés : tubes transparents + cristal => conférer de la noblesse à des matériaux reflétant soit un univers industriel / vernaculaire soit critiqué pour leur aspect modeste (cristaux).

 

[1]Ibidem.

[2]Ibidem. 

[3]MERCERON L. Dean, Lanvin, op. cit.

Perles – perlage 

  • Etoffes : toiles pour réaliser son art.

  • Perlages réalisés à partir d’éléments variés : perles de rocaille rondes tubulaires, perles de cristal facettées.

  • Accentuation motifs.

  • Perles de rocaille rondes & tubulaires : essentiel des perlages.

  • Toutes sortes de couleurs & d’aspects : opaque, transparent, nacré.

  • Méthode du perlage au tambour et au crochet utilisée pour Mille et Une Nuits : méthode rapide pour recouvrir grande surface (cf. vitesse / industrialisation)

MERCERON L. Dean, Lanvin, Paris, Éditions de la Martinière, 2008.

  • Cf. COMPARAISON : collection été 1923, robe tunique Junon (titre antiquisant) => mousseline de soie bleue, entièrement recouverte de perles (rondes, tubulaires). Sans manche, forme de cylindre, décolletée en V devant et au dos, taille surbaissée. Vêtement translucide, porté sur un fond de robe en crêpe de Chine. Motif du perlage d’inspiration persane (hybridation des influences). Méthode de la « broderie de Lunéville » : point de chaînette à l’aide d’un tambour et d’un crochet ; travail à l’aveugle (méthode convenant aux perles de rocaille rondes ou tubulaires).[1]

  • Cf. COMPARAISON : Maillot, été 1924.

 

Gazette du Bon Ton, article de 1925 « Les perles gouttes de lumière » : 

« Jamais, autant que cette année, elles ne se seront enrichies d’une fantaisie aussi étourdissante. […] Elles rehausseront de leur nacre pâle les tissus arachnéens, les dentelles de métal, sans redouter le voisinage des brillants auxquels on les unit. […] Tubes demi-lignes doués d’un brillant si éclatant qu’il se confond avec le vif argent. Toutes petites, vraies filles de la lumière, elles en multiplient dans leurs arêtes les réfractions. Certaines robes du pavillon de l’Elégance ont brillé, grâce à elles, de mille feux scintillants. »[2]

 

[1]MERCERON L. Dean, Lanvin, op. cit.

[2]Jeanne Lanvin, dir. GROSSIORD Sophie, op. cit, p. 141.

Robe tunique Junon. Collection été 1923.

Mousselinede soie bleue, entièrement recouverte de perles (rondes, tubulaires). Sans manche, forme de cylindre, décolletéen V devant et au dos, taille surbaissée. Vêtement translucide, porté sur un fond de robe en crêpe de Chine. Motif du perlage d’inspiration persane.Méthode de la « broderie de Lunéville » : point de chaînette à l’aide d’un tambour et d’un crochet ; travail à l’aveugle.

Paris, Patrimoine Lanvin. 

La silhouette des Années folles : la GARÇONNE

Contexte littéraire :

  • Victor Marguerite, La Garçonne [titre initial : Toute nue=> désir de transparence], 1922 : héroïne Monique Lhebier incarnant aux lendemains de la Première Guerre mondiale un être mi-garçon manqué, mi-jeune fille libérée. Importance de l’apparence vestimentaire (description vêtements : description psychologies des personnages).

  • Abel Hermant, Camille aux cheveux courts, 1927.

  • Années 1920 : Lanvin => intégration de la Garçonne avec La Garçonne, collection Biarritz de 1925 + collection Deauville de juillet 1925 : pyjamas de satin à liserons bleu-mauve, avec doublure & revers de satin uni rouge, vêtements ambigus & lascifs. Pyjama : modernité.

  • Tissu lamé évoquant les garçonnes.

 

Commentaire de La Gazette du Bon Ton, « Lanvin », 1925, Paris, supplément au n°7 : 

« Rien de plus piquant que l’équivoque réalisée par une silhouette moderne, atourée à la Winterhalter, ou par ces jeunes demoiselles d’honneur, coiffées  l’éphèbe, à l’ombre de leur capeline en fleurs… »[1]

  • Aspect « garçonne » dans Mille et Une Nuits : posture physique d’après le croquis => allure / mouvement du corps, coupe de cheveux (en 1925 : 1 femme sur 3 aurait fait couper ses cheveux).

  • Beauté libre des artifices (perruques, corset) : page blanche = corps plat + cheveux coupés courts.

  • Garçonne : modèle d’androgynie.

  • Cf. hygiénisme + nouvelle esthétique du corps sculpté.

  • Nouvelle quête de l’identité féminine : cf. transparence.[2]

  • Volonté de dévoiler les corps : robes plus courtes, décolletés => cf. Mille et Une Nuits.

  • Revendication corps / esprit de la femme dans une société coercitive :

  • Loi 1920 punissant avortement + interdisant publicité pour contraception.

  • Diminution natalité + recours à l’immigration : péril national.

  • Années 1920 : essor de la chirurgie esthétique (rectification poitrine opulente).

  • 1922 : refus par le Sénat du droit de vote des femmes.

  • Libération corporelle : soins de la toilette + culture physique + volonté de s’habiller rapidement : enfiler facilement une robe telle Mille et Une Nuits.[3]

 

[1]PICON Jérôme, op. cit., p. 167-189.

[2]Les années folles 1919-1929, op. cit., p. 187-194.

[3]Ibidem, p. 197-207.

CONCLUSION

  • Robe s’insérant dans l’ambiguïté de l’Art déco / « Style 1925 » à l’instar de l’Exposition :

  • Esthétique : tempérer motifs traditionnels végétaux par fond uni vert absinthe vif (modernité).

  • Matérialité : usage de matériaux innovants (lamé, tubes transparents, cristaux Swarovski) mêlés à des matériaux plus traditionnels (crêpe de soie, perles nacrées). Symbiose des matières pour établir une nouvelle modernité luxueuse ; adéquation mode / industrie.

  • Techniques : traditionnelles (broderie à fils tirés ou découpés ; méthode du perlage au tambour et au crochet) appliquées à un ouvrage moderne ayant recours à la machine à coudre.

  • Idéologique : revendication de la féminité (robe transparente, robe-bijou) tout en empruntant des codes masculins (posture, cheveux courts) => quête de liberté insufflée par la garçonne.

  • Performativité des matières transparentes et opaques : transparence de la femme quant à sa position dans la société. Revendication de son rôle majeur au lendemain de la 1èreGM. Mise à nu de l’époque des Années folles : revendiquer son corps comme entité libre et construite. Symbiose mode / architecture.

  • Intitulé de la robe Mille et Une Nuits : projeter la société et la mode vers une utopie féministe => liberté en droits et en devoirs de la femme. Mille et une possibilités d’émancipation.

 

  • Modernité Art déco en Haute-Couture à travers la robe Mille et Une Nuits :

  • Confort vestimentaire : souplesse du textile, fluidité des mouvements (coupe).

  • Impact visuel (écho à l’architecture) : décor brodé, perlage ; inscription dans le style garçonne ; hybridation des motifs.

  • Nouvelles techniques.

Robe Fausta, 1928-1929.
Robe Bel oiseau, 1928.
Robe Bel oiseau, 1928.
  • Janvier 1926 : Jeanne Lanvin distinguée Chevalier de la Légion d’Honneur à l’issue de son investissement lors de l’Exposition Universelle des arts décoratifs et industriels. Félicitée par P. Poiret.[1]

  • Vaste engouement et apogée pour la robe-bijou après l’Exposition Universelle : autres modèles dont

  • Fausta, 1928-1929 : encolure + manchettes brodées de 12 bracelets argentés composés de baguettes métalliques et de strass.

  • Elisabeth et Ma préférée, 1929 : faux bracelets et colliers en perles et tubes.[2]

  • Participe à l’Exposition internationale des arts et techniques de 1937 : 

  • Renouer et appuyer les rapports mode / industrie / architecture.

  • Célébration de Doucet, Worth, Vionnet et Lanvin.

  • Redécouverte de La Cavallini.[3]

 

[1]PICON Jérôme, op. cit., p. 197.

[2]Jeanne Lanvin, dir. GROSSIORD Sophie, op. cit, p. 112.

[3]GUÉNÉ Hélène, op. cit.

  • Années 1960 : retour à l’architecture du corps par la mode en référence à celle du « Style 1925 » => prééminence des épaules et des hanches libres.[1]

  • Cheveux courts.

  • Paco Rabanne, Metal dress robe, 1966, Collection 1966, Galerie Iris Clert, Paris sixties : matériau moderne (métal) + coupe droite => mouvements fluides.

  • Le Smoking d’Yves Saint-Laurent présenté en 1966 et immortalisé par Helmut Newton.

 

[1]Les années folles 1919-1929, op. cit., p. 12-25.

Paco Rabanne, Metal dress robe, 1966, Collection 1966, Galerie Iris Clert.

Yves Saint-Laurent, Smoking porté par le modèle Ulla, 1966. 

© Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent.

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages 

BARILLÉ Élisabeth, Lanvin, Paris, Éditions Assouline, 1997.

GUÉNÉ Hélène, Décoration et Haute Couture. Armand-Albert Rateau pour Jeanne Lanvin, un autre Art déco, Paris, Les Arts Décoratifs, 2006.

MERCERON L. Dean, Lanvin, Paris, Éditions de la Martinière, 2008.

PICON Jérôme, Jeanne Lanvin, Paris, Flammarion, 2002.

 

 

Catalogues d’exposition 

1925. Quand l’art déco séduit le monde, dir. BRÉON Emmanuel et RIVOIRARD Philippe, (cat. exp., Paris, Cité de l’architecture et du patrimoine, 16 octobre 2013-17 février 2014), Paris, Éditions Norma, 2013.

Les années folles 1919-1929, dir. JOIN-DETERLE Catherine, GUENE Hélène, ASAKURA Mié, et al., (cat. exp., Paris, Musée de la Mode de la Ville de Paris – Palais Galliera, 20 octobre 2007-29 février 2008), Paris, Paris-Musées, 2007.

Jeanne Lanvin, dir. GROSSIORD Sophie, (cat. exp., Paris, Musée de la Mode de la Ville de Paris – Palais Galliera, 8 mars-23 août 2015), Paris, Paris-Musées, 2015. 

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